Avec ce pseudonyme qui est une autre manière de dire «Danger», Christian Alex Nkombegnondo est surtout connu comme l’un des grands émulateurs du mouvement Rap gabonais, découvreur de talents, producteur discographique et promoteur de la ligne de sportswear «Intché». Il a également été champion du Gabon, de l’Afrique centrale et vice-champion des Etats-Unis en Taekwondo. Il s’explique ici, en tant que membre, sur ce qu’on nomme coalition des Gabonais des Etats-Unis, très remarquée sur les réseaux sociaux, notamment à travers des messages vidéo, iconoclastes et virulents envers le pouvoir.
Pouvez-vous nous parler de la coalition des Gabonais des Etats-Unis ?
Il s’agit d’une cohabitation de Gabonais d’origines différentes, aussi bien ethnique que politique et qui, ensemble, ont décidé de parler des choses du Gabon en vue de conscientiser le peuple sur la situation de leur pays. La coalition n’est pas informelle ainsi que pourrait le laisser penser la particularité et l’indépendance du discours de chacun de ses acteurs. Il s’agit bel et bien d’un groupement organisé avec tout ce que cela implique : statuts, assemblée générale, etc. Nous avons pour objectifs de faire un état des lieux des réalités du Gabon et de faire en sorte que ce soit un pays démocratique, où règnera la prospérité, l’équité, le partage au plus grand nombre des fruits du développement, quel que soit l’origine de chacun. En d’autres termes, nous souhaitons que notre pays soit fort, prospère et rayonnant à travers le monde.
Sur les réseaux sociaux, la coalition des Gabonais des Etats-Unis se fait remarquer par la diffusion de messages vidéo, si l’un des plus virulents de ses acteurs gagne actuellement en notoriété, les autres ne sont pas vraiment connus. Quelles autres membres ou figures charismatiques composent votre mouvement.
Comme dans toute organisation, il y a en effet de nombreux membres qui ne seront jamais sous les feux de la rampe, mais qui ne travaillent pas moins. Au titre des plus actifs, de ceux qui montent au créneau, vous avez Franck Jocktane, Landry Alain Washington, Raphael Nziengui, Alain Serge Obame, Patrick Kokou ou Christian Alex Nkombegnondo, notamment.
L’une des personnes que vous venez de citer, à savoir Landry Alain Washington, s’est récemment fait remarquée avec des vidéos agressives envers certaines personnalités politiques du pays. Est-ce là la principale activité ou stratégie de ce que vous appelez coalition ?
Pas du tout ! Vous savez qu’il y a une stratégie en toute chose et une coalition implique nécessairement le fait d’avoir des membres d’horizons différents, chacun avec son opinion. C’est un peu comme un front qui réuni des gens de différentes sensibilité pour un objectif momentané et précis. Une fois l’objectif atteint, chacun retourne à ses préoccupations habituelles. Nous pensons que chaque Gabonais est libre de partager son point de vue aux autres. Par ailleurs, dans les différentes couches sociales d’un pays, vous avez plusieurs genres de personnes : il y en a qui auront un tempérament fort, d’autres sont presque passifs. Ainsi, chacun exprimera ce qu’il ressent comme il a choisi de le faire. Nous ne nierons pas Landry Alain Washington du fait de son franc-parler. Il est de la coalition et il assume ses propos.
Dangher (1)A y regarder de près, la coalition ressemble à un groupe que l’on pourrait rapprocher de l’opposition, un regroupement qui souhaite le changement. Or en 2009, on vous avait pourtant vu soutenir l’actuel chef de l’Etat durant sa campagne électorale. Qu’est-ce qui peut expliquer ce revirement ?
Oui, j’ai soutenu le président de la République et, lorsque je fais quelque chose, je l’assume ! Je lui ai accordé le bénéfice du doute. J’ai cru en son programme, en l’impression de modernité qu’il dégageait, en sa volonté de vouloir faire de bonnes choses pour notre pays. Mais au fil des évènements, au fil de sa gouvernance quotidienne, j’ai constaté que les choses n’allaient pas dans le sens annoncé, qu’elles ne suivaient pas le programme qui n’était plus mis à exécution. Et je ne suis pas content ! Car je n’ai pas voté pour que plus tard, ma voix soit négligée. Il faut qu’au Gabon, les responsables politiques, les élus, réalisent, lorsqu’ils sont en poste, ce pour quoi ils ont été élus. Ils doivent comprendre qu’ils n’ont pas été nommés. Et en tant que tel, on doit rendre compte et réaliser le programme pour lequel on a été élu.
A titre d’exemple, 5 000 logements par an nous ont été promis. Je ne suis pas l’auteur de cette promesse. Mais vous et moi, ainsi que l’ensemble des Gabonais, savons qu’on est loin de cette promesse. Il y a un autre exemple avec le Smig, dont on nous avait promis l’amélioration. C’est qui est loin d’être le cas à l’heure actuelle. Pire, la bourse du Gabonais, son pouvoir d’achat a fortement régressé en cinq ans. Quid de la sécurité au Gabon ? Est-elle meilleure qu’avant ? Pêlemêle, combien de salles de classes ont été construites en cinq ans ? Si l’on commence par énumérer les promesses non tenues, on y passera des heures, voire des jours. En gros, il y a beaucoup de manquements sur ce qui avait été promis dès le départ.
La logique est que si vous avez soutenu un candidat et qu’il y a des choses qui ne marchent pas, c’est de rester avec lui et de lui dire qu’à tel ou tel niveau, il y a des choses à améliorer… Je suis quelqu’un d’assez bien élevé. Lorsque je décide de dire que ça suffit, c’est qu’on a dépassé les bornes. Une information : Il y a plusieurs Gabonais aux Etats-Unis qui ont des ONG ou des structures de business, et qui ont soutenu l’actuel président. Mais accepteriez-vous qu’un Gabonais n’ait pas le droit de vendre son savoir ? Nous avions, par exemple, lors de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2012, une agence de consulting qui a proposé des solutions et stratégies au gouvernement. Mais aucune de ces propositions n’a jamais été prise en compte, et l’on se demande bien pourquoi. Faut-il nécessairement être originaire d’une province, appartenir à un certain cercle ou être le rejeton d’un tel pour décrocher un contrat ? Je dis non. Car nous ne sommes plus des enfants, nous sommes des adultes. Nous avons un certain savoir et nous souhaitons le partager moyennant quelque chose : car il n’est nullement question et il ne sera pas éternellement question de bénévolat quand d’autres qui n’ont aucun apport réel se sucrent avec une facilité déconcertante.
Nous en avons parlé avec des proches du dernier cercle du pouvoir, qui se sont avérés malheureusement tout aussi semblables que nos dirigeants. Il n’y a pas si longtemps, avec la participation de monsieur Bikalou, nous avons fait venir des chefs d’entreprises américains au Gabon. Mais une fois les opérateurs sur place, notre projet a été saboté. Et des exemples comme ça, il y en a à la pelle. Nous avons donc l’impression que plus vous fournissez d’efforts pour votre pays, plus vous devenez des menaces ou ennemis pour certaines personnes ; alors que ceux qui en fournissent le moins, sont adoubés. Et ce constat est vérifiable à tous les niveaux, même au niveau du militantisme, au sein même du PDG. Où sont par exemple, aujourd’hui, ceux qui ont mouillé le maillot, ceux qui étaient sur le terrain en 2009 ? En gros, il y a comme un manque de respect.
Une sorte d’ingratitude ?
Exactement ! En plus de cette ingratitude il y a, pour son prochain, un manque de respect flagrant. Il y a plusieurs ingénieurs Gabonais aux Etats-Unis qui veulent participer au développement de leur pays. Mais nous avons l’impression que seules quelques personnes ont ce privilège. Ce qui n’est pas normal car tout Gabonais a le droit d’aider son pays s’il le souhaite ; d’autant plus s’il dispose de l’expertise nécessaire. Tel est le profil de la quasi-totalité des membres de notre groupe, et de plusieurs Gabonais de la diaspora, qui peuvent venir en aide au pays.
Vous avez un certain passé avec l’opposition. L’on se souvient que lors de la présidentielle 2005, vous aviez été interpellé à la sortie d’une conférence de presse de messieurs Myboto et Mamboundou. Pouvez-revenir avec nous sur ces évènements que nombreux n’ont pas compris, faute d’information ?
En ce temps là, j’étais président de l’UPG au niveau du 1er arrondissement de Libreville, par ailleurs responsable du protocole et de la sécurité de monsieur Mamboundou dans le mouvement des jeunes. Pour la journée que vous évoquez, après la conférence de presse qui avait réuni messieurs Myboto et Mamboundou, j’avais décidé de ne pas accompagner le président de l’UPG. Car j’avais un creux à l’estomac et je cherchais donc quelque chose à grignoter. Entre temps, j’ai eu à échanger avec le procureur de la République, qui m’a un peu donné la conduite à tenir et m’a recommandé un itinéraire car il y a avait du monde ce jour-là, dont des membres des forces de l’ordre. Mais il s’est avéré qu’il s’agissait d’un guet-apens : les forces de l’ordre se sont mises à attaquer la foule et arrêter des personnes.
J’étais avec l’un de mes frères et nous nous sommes dit qu’il fallait peut-être rebrousser chemin. Et là deux éléments de la police judiciaire, cagoulés et armés, se sont présentés face à nous m’ont clairement dit : «Dangher, tu as choisi ton camp». Ça ne ressemblait en rien à une arrestation mais à un kidnapping. J’ai été jeté dans une fourgonnette et emmené vers une destination inconnue. Un de mes frères a également été enlevé, le défunt Alain Renami, et ensemble nous sous sommes retrouvés au commissariat central. Là-bas, on a voulu me faire signer un procès-verbal, déjà rédigé, de destruction de biens publics. Bien entendu j’ai refusé et c’est ainsi que je me suis retrouvé au parquet de Libreville. Ce n’est que par la grâce de Dieu que nous sommes sortis de là. Donc j’étais retenu quelque part, sans pour autant savoir où.
Ce sont aussi ces douloureux souvenirs et lorsque je vois ce qui se passe actuellement, qui me font dire que les choses ne changent pas. Car les évènements que je viens de relater remontent à l’époque de Bongo père. Car aujourd’hui encore, il y a plein d’arrestations arbitraires, comme à l’UOB récemment. Pourquoi ces mêmes faits se reproduisent alors qu’on nous a promis le changement ? Ce sont donc toutes ces choses qui amènent aux coups de gueule et autres prises de position radicales à travers lesquels nous disons : «on ne peut plus continuer comme ça !» Et lorsque vous êtes arrêtés, le quotidien national publie, le lendemain, un article indiquant que vous êtes un meneur de casse. Et cela sans que n’ayez été jugé… c’est injuste. Tout cela doit changer car dans un pays qui se dit démocratique, la presse ne peut être à la solde du pouvoir.
Dangher (4)Beaucoup d’observateurs qui analysent le mode opératoire de la coalition des Gabonais des USA soutiennent qu’il est aisé d’être assis dans sa chambre, avec un Coca-cola et un hamburger, et de faire de l’opposition sur un clavier d’ordinateur : il n’y a rien de concret. C’est de l’opposition virtuelle. Que leur répondez-vous ?
Certes les composantes de la coalition arrivent d’horizons divers mais certaines peuvent se targuer d’avoir fait un certain nombre de réalisations. En ce qui me concerne, par exemple, j’ai offert des passerelles aux populations de Libreville, entre Louis et Batterie IV. Je n’en fais pas la promotion car je l’ai fait avec amour pour mon arrondissement. J’ai également organisé des forums d’entreprenariat du fait de ma casquette d’entrepreneur. En attestent un certain nombre de vidéos, sur YouTube, qui démontrent mon engagement sur le développement personnel pour la jeunesse. Et même au niveau du sport, j’estime avoir été un modèle pour le Gabon. Je suis le premier athlète gabonais à avoir été vis-champion des Etats-Unis.
Certes aujourd’hui il y a Anthony Aubame, mais avant lui il y a toute une histoire. Et il est important que nous n’oublions pas l’histoire, et ce dans tous les domaines. On m’a taxé d’opposant mais j’ai pourtant répondu à un certain nombre de sollicitations du chef de l’Etat, dans l’espoir que les choses changent un jour et qu’il y ait une justice pour tous. J’ai été dans l’opposition puis avec le pouvoir, avant de retourner ma veste à nouveau, car j’aspire au changement. Pourquoi doit-on diaboliser quelqu’un qui se refuse à travailler avec le pouvoir ? Ou qui essaie tout simplement de tracer sa propre voie ?
Avez-vous été diabolisé ?
Sans hésiter, je réponds oui. Je n’en veux pour preuve que la convocation de plusieurs de mes proches parce que ces derniers ont été aperçus à mes côtés. Et ça c’est un message que je lance au pouvoir : je l’ai soutenu mais je dis également que même lorsque nous sommes dans l’adversité, il y a un certain nombre d’acquis à préserver. Le respect doit régner. Il des sujets que je n’évoquerai jamais, par respect. Mais le respect ne peut pas être seulement dans un sens. Si je ne suis pas d’accord avec ce qui se passe, c’est mon droit de me retirer et de suivre la voie que je jugerai meilleure. Je n’ai pas à être diabolisé pour ça, au point d’être considéré aujourd’hui comme persona non grata au niveau du Gabon. Pourtant, avec d’autres Gabonais, nous avons montré ce dont nous étions capables.
A titre d’exemple, une personnalité politique a tenté d’organiser une espèce d’échange qui inclurait la présence de partenaires américains. Il n’en ramené, lui, qu’un seul contre dix-huit pour nous. Ce qui prouve à suffisance que les jeunes gabonais sont capables. Et nous avons également constaté à nos dépens que chef de l’Etat travaille avec des personnes très peu sérieuses, et qui lui font même de la contre-campagne à travers leurs actes, aussi bien aux Etats-Unis qu’ici à Libreville. Et au moment de dénoncer tout ceci, je le ferai. Je n’en dirai pas plus car il faut qu’on s’en tienne à l’aspect économique, politique, social et culturel. Si j’ai l’assurance que ça va bien sur ces plans, alors là je me tairai.
Y a-t-il un aspect de cet échange que nous n’avons pas abordé et que vous auriez aimé évoquer ?
Oui et je citerai les jeunes de l’UOB et la façon dont on enfreint certaines lois internationales. L’armée au sein de l’université ce n’est pas normal, alors qu’on se targe haut et fort d’être un pays de droit et de démocratie. Personne n’en parle. Mais moi je le crie haut et fort, sans me cacher, car je ne suis l’ennemi de personne. Je veux juste que les choses changent et qu’on honore, un tant soit peu, ce statut de pays dit démocrate. Rendez-vous compte que non seulement des étudiants sont exclus des universités au Gabon mais encore, et là c’est plus grave, ils sont interdits d’inscription dans les universités et grandes écoles hors du pays. Ce n’est pas juste et je dis non à ça.
Pour conclure, je dirai à certaines personnes d’arrêter de se moquer des Gabonais. Certes nous sommes un peuple tolérant et pacifique, mais lorsque vous empêchez à quelqu’un de s’exprimer, à un moment donné tout peut arriver. Critiquer ce que font les autres ne fait pas de nous des ennemis, mais des adversaires. Nous souhaitons juste une chose : que notre «Concorde» raisonne plus haut et plus loin dans l’avenir. Et ça ce n’est possible qu’à travers la jeunesse consciente, éduquée et qu’on prend en compte.