LIBREVILLE - Un peloton lancé sur des routes désertes à travers la forêt équatoriale gabonaise et soudain un hameau de maisons en terre ou en bois et des villageois endimanchés : c'est la Tropicale Amissa Bongo, plus grande course africaine et ouverture du calendrier international cycliste.
Debout, presque immobile, un vieux monsieur portant une veste de blazer élimée lève lentement sa canne au passage des 150 coureurs. Autour de lui c'est la frénésie. Enfants, adolescents mais aussi adultes s'agitent et sautent dans tous les sens au milieu des cris.
"Allez les Gabonais", "Bravo" ou "Tropicale" retentissent, mais ce qui revient le plus souvent c'est "Des T-shirts!!!". Les sponsors et les organisateurs en distribuent des milliers pendant la semaine, au grand bonheur des spectateurs, pauvres pour la plupart.
Sur la route, à Konoville-les-deux-églises, village du nord du Gabon, Samuel Etoh attend les cyclistes assis sur sa brouette avec sa machette maintes et maintes fois aiguisée, la lame étant désormais plus étroite que le manche.
Il est loin de gagner le salaire de son homonyme footballeur camerounais: son travail sur le champ de cacao lui rapporte "150.000 F CFA par an" (225 euros). "Ca ne suffit pas pour vivre, alors je pêche et je chasse. Quand il y a beaucoup de poissons ou de gibiers, je le vends. Quand il y en a peu, je le mange", dit-il. Il regarde passer les cyclistes avec le sourire, avant de repartir, avec sa brouette.
Amissa, une fille Bongo
La plupart des spectateurs ne connaissent rien à la compétition mais apprécient le spectacle gratuit offert par quatre équipes professionnelles européennes et 12 équipes africaines.
"Un format avec quelques stars et des coureurs nouveaux ou en devenir", explique Philippe Crepel, directeur de l'épreuve.
"C'est flagrant. Le niveau des cyclistes africains a augmenté depuis ma première visite en 2006", affirme Richard Virenque, invité de l'épreuve.
"C'est incroyable d'avoir une aussi grosse course ici", commente le Sud-Africain John-Lee Augustyn, un des coureurs à avoir déjà participé au Tour de France.
La Tropicale Amissa Bongo, du nom d'une fille décédée à un jeune âge du défunt président gabonais Omar Bongo, n'existe que grâce à la volonté politique du Gabon, qui finance directement et indirectement un budget non-dévoilé.
L'organisation est un véritable casse-tête à travers un pays grand comme la moitié de la France mais où vivent moins de 1,5 million d'habitants. L'infrastructure routière est faible et oblige les organisateurs à des transferts aériens ou routiers fréquents.
Vin de palme et python
L'avant-veille des étapes, des équipes de bitumage posent des pansements sur les trous, dans des routes inspectées plusieurs fois pendant les mois qui précèdent la course.
A Oyem, capitale du nord, des milliers de jeunes en uniformes colorés -les autorités ont donné la journée aux scolaires pour la course- acclament les coureurs et les spectacles d'avant-course (jeux et danses sur le podium) tandis que des motards de la gendarmerie font des acrobaties dans un vacarme incroyable.
On rit de bon coeur, quitte à se moquer des coureurs qui transpirent à grosses gouttes dans une chaleur moite: "Allez, ajoute un peu le Cam (Fais un effort le Camerounais)" lance un jeune, hilare, à un retardataire.
Le lendemain, le peloton file dans la jungle. Les villageois posent sur le bord de la route, à la vente, bananes, avocats, piments, ainsi que le célèbre vin de palme qui coule à flots pour ce jour de fête qu'est la course.
Ils accrochent à des branches le gibier dont sont friands les Gabonais. En passant avant les coureurs, on peut ainsi voir singes, pythons, antilopes ou tortues. Officiellement, leur commerce est interdit, mais de toute façon les coureurs eux n'ont pas le temps de les voir, têtes baissées dans leur guidon.