Les grues restent désespérément immobiles et les dizaines d'ouvriers en gilet fluo ont disparu. Comme bien d'autres projets au Gabon, le chantier du "Champ triomphal" de Libreville est arrêté pour des questions de "financement", une situation qui commence à inquiéter les entreprises.
Le "Champ triomphal" devait être le symbole du "Gabon émergent" voulu par le président Ali Bongo Ondimba: la transformation du petit port de pêche de Libreville en une marina futuriste avec gratte-ciels, centres commerciaux, île artificielle... En attendant la reprise des travaux, un immense tas de sable obstrue l'horizon.
Récemment interpellé lors d'une émission à la télévision nationale, le ministre des Infrastructures, Magloire Ngambia, a admis que le gouvernement avait été "amené à revoir le plan de financement" du projet.
Selon lui, des négociations sont en cours entre l'Etat et la société chinoise chargée du chantier. "Nous ne sommes pas encore tout à fait d'accord", a-t-il relevé, assurant que le chantier devrait redémarrer. Sans toutefois dire quand.
- Chantiers en 'pause' -
Le cas du "Champ triomphal" est loin d'être isolé. Face à l'ampleur des impayés, les chantiers s'arrêtent les uns après les autres, des équipements de prestige aux logements sociaux.
A la Cité de la démocratie, immense domaine construit dans les années 1970 pour permettre à Libreville d'accueillir des sommets internationaux, les chantiers de rénovation sont en stand-by.
L'entreprise française Gregori International, chargée de réaliser un golf de luxe, a plié bagage et suspendu le contrat qui la liait à l'Etat. A côté, les ouvriers du groupe de construction turc Enka, qui construisaient un nouveau palais présidentiel, ont abandonné le bâtiment, arrêté au premier étage.
Quant à la première entreprise gabonaise de BTP, Socoba, elle a également mis en "pause" ses chantiers de logements sociaux à Libreville et à Port-Gentil.
Un audit mené début 2014 par le gouvernement a permis de recenser 1.700 milliards de Francs CFA (2,6 milliards d'euros) d'arriérés de paiement, dont 1.200 milliards (1,8 milliard d'euros) se sont révélés réellement exigibles.
Le reste concernait des surfacturations, des attributions douteuses de marchés publics, ou des facturations de services jamais réalisés.
Le Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN) a récemment alerté Paris, après avoir mené sa petite enquête: la dizaine d'entreprises interrogées cumulaient entre 100 et 200 millions d'euros de créances.
"Les montants sont tels qu'à un moment, les entreprises ne peuvent plus vivre. D'autant que deux tiers de ces dettes datent de plus d'un an", explique à l'AFP le président délégué du CIAN, Etienne Giros.
- 'Tensions de trésorerie' -
Des multinationales aux PME gabonaises, toute une chaîne se retrouve aujourd'hui paralysée. Nombre de petites entreprises qui n'ont pas été payées depuis des mois, notamment dans le secteur du BTP, sont en grande difficulté.
Selon Francis Evouna, président d'un syndicat de PME, le Conseil gabonais du patronat, "les ministres en charge de l'Economie et du Budget nous vantent une économie prospère", mais les dettes accumulées ont "entraîné la fermeture ou la cessation d'activités de plusieurs" PME.
Patron de Gim-BTP, Lino Carlos Boussamba en fait partie. Après avoir achevé des travaux sur un grand projet d'infrastructure dans l'est du pays mi-2013, sa société attend toujours le règlement de 1,5 million d'euros par l'Etat.
"J'ai dû mettre une quinzaine d'employés au chômage technique, en pleine rentrée scolaire de leurs enfants. Cela faisait six mois que je ne pouvais plus payer leurs salaires, je suis surendetté", raconte-t-il.
"L'Etat a toujours mis un certain temps à régler ses dettes, mais là, c'est du jamais vu", renchérit le directeur d'une grande entreprise, sous couvert d'anonymat.
Selon un rapport du FMI non rendu public, les dépenses d'investissement ont triplé avec l'arrivée au pouvoir d'Ali Bongo, qui a multiplié les grands projets, en 2009.
Le FMI pointe "des dépenses systématiquement revues à la hausse". Or, les recettes pétrolières, qui assurent 60% du budget de l'Etat, ont baissé de 5% depuis un an.
Interrogé par l'AFP, le porte-parole de la présidence, Alain-Claude Bilie By Nzé, a reconnu "des tensions de trésorerie".
Elles sont selon lui surtout dues à des grèves à répétition aux douanes et au Trésor public.
Mais, assure-t-il, "les caisses (de l'Etat) ne sont pas vides", et "le Gabon dispose de réserves suffisantes pour face à un certain nombre de difficultés", d'autant que la dette extérieure reste supportable (à environ 25% du PIB).
L'Etat assure avoir commencé à payer ses factures.