Les interpellations de certaines personnalités dans le cadre des malversations liées fêtes tournantes n’ont pas prospéré et ce dossier est aujourd’hui sorti des feux de l’actualité. Le mécontentement d’Idriss Ngari est passé par là. L’impunité, socle de tout Etat de droit et un des fondements de la démocratie, est-elle vraiment finie au Gabon ? On en doute.
La baudruche semble s’être dégonflée. La tournure qu’avait prise il y a quelques mois l’affaire des détournements des deniers publics liés aux fêtes tournantes de l’Indépendance, est au point mort. Est-ce la révélation, par l’hebdomadaire Echos du Nord (n°248 du 1er septembre 2014), de ce que des personnalités proches du pouvoir sont particulièrement indexées dans le rapport de la Cour des Comptes, qui a fait reculer l’Exécutif ? Selon ce journal qui figure parmi les mieux informés du pays, «le rapport renversant de la Cour des Comptes sur la gestion des fêtes tournantes indexe le camp présidentiel ; les ministres des Travaux Publics successifs, ceux du Contrôle d’Etat, les directeurs généraux qui se sont succédé aux Marchés publics de 2002 à 2007, ceux du Budget et les TPG devront répondre de leurs actes ; tout comme certaines personnalités qui ont reçu de l’argent du Trésor Public sans justificatif».
L’opinion avait en tout cas noté qu’après l’arrestation de Jeannot Kalima, ancien directeur de cabinet d’Idriss Ngari, lui-même ancien ministre de la Défense, celui-ci avait violemment apostrophé, à l’Assemblée nationale, Guy Bertrand Mapangou, l’actuel ministre de l’Intérieur, de la Sécurité, de la Décentralisation et de l’Immigration, en lui tenant des propos peu courtois : «pourquoi avez-vous arrêté mon ancien directeur de cabinet, alors que c’est moi que vous cherchez ? Soyez un peu plus courageux». Quelques jours après cette altercation entre l’ami d’Omar et l’ami d’Ali -PDG dur contre PDG Émergent-, l’ancien directeur de cabinet d’Idriss Ngari fut libéré après avoir payé une caution de 1 million de francs CFA et remboursé soixante millions de francs sur un total de 625 millions CFA dont il était accusé de détournement.
«Les loups ne se mangent pas entre eux»
Deux mois après la libération de Jeannot Kalima, plus aucun proche d’une personnalité politique n’a été arrêté et mis au gnouf. Seuls deux chefs d’entreprises qui n’avaient pu livrer les travaux des chantiers à eux confiés et entièrement payés croupissent encore en prison. L’affaire dite des «détournements des fêtes tournantes» s’est arrêtée.
Il n’est pas sûr qu’après les menaces du Général à la retraite Idriss Ngari, aujourd’hui deuxième vice-président de l’Assemblée nationale, à l’endroit de Guy-Bertrand Mapangou, un des membres éminents de la galaxie émergente, Jeannot Kalima repartira en prison même s’il venait à ne pas rembourser le reliquat, c’est-à-dire les 565 millions de francs restants. La procédure qui le concerne semble s’être arrêtée à ce niveau. Et il n’est pas le seul cité dans cette affaire. Au total, les détournements s’élèveraient, selon des sources judiciaires proches du dossier, à plusieurs milliards de francs. Pourtant, dans une longue interview à l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique, Ali Bongo avait promis la fin de l’impunité. On a du mal à voir à quoi ressemble cette posture présidentielle. «Les loups se mangent-ils entre eux ?» s’interroge un leader de l’opposition.
Les enquêtes s’estompent les unes après les autres
Aujourd’hui, le sentiment généralement partagé dans l’opinion est que l’hebdomadaire Echos du Nord ayant révélé que le nom du dernier Premier ministre d’Omar Bongo, Jean Eyéghé Ndong, l’un des chefs de file de l’opposition radicale actuelle, n’apparaît nulle part dans le rapport de la Cour des comptes, et que le camp politique le plus touché par ces détournements étant celui du chef de l’Etat, toutes les enquêtes menant à la recherche de la vérité vont s’estomper les unes après les autres.
Pourtant, le rapport de la Cour des Comptes – «un brûlot de 43 pages après l’audit réalisé par cette institution de contrôle sur les fêtes tournantes 2002-2007, a permis aux magistrats de l’ordre financier de mettre à nu le système mafieux qui réduit à néant ce colossal effort budgétaire réalisé par l’Etat entre 2002 et 2007 ; ainsi du ministre des Travaux publics de l’époque à celui du Contrôle d’Etat, en passant par le ministre du Budget, le directeur général du Budget, le directeur général des Marchés publics, le Trésorier-Payeur Général,… tous sont accusés d’avoir une responsabilité directe» dans ce scandale- est suffisamment accusateur. Mais il se trouve que toutes ces personnalités sont toujours dans le camp du pouvoir. Certaines sont devenues, entre temps, soit député, soit directeur général d’une entreprise publique ou ministre.
Comme l’a souligné Jean-Norbert Mattéya, un spécialiste des questions juridiques, «l’impunité ne peut prendre fin aussi facilement, il y a trop de proximité entre les personnalités citées et les centres de décision actuels». D’où cette interrogation : le gouvernement a-t-il voulu se servir de la justice pour régler des comptes à ses adversaires politiques ? Ou attend-il simplement que le mois d’août 2016 approche pour en disqualifier, à un moment alors opportun, quelques-uns ?