Pour l’actuelle majorité, le Plan stratégique Gabon émergent est un projet de société abouti, qui se suffit à lui-même. Mais, il est à craindre qu’il manque de souffle autant que de fondements véritables.
Son entourage feint d’y croire totalement. Lui donne le sentiment d’y voir un précieux sésame, un argument imparable qui renvoie systématiquement ses contempteurs dans les cordes. Jusqu’au bout et en toutes circonstances, Ali Bongo brandira donc le Plan stratégique Gabon émergent (PSGE). «Il n’y a pas de projet politique», lançait-il le 17 août dernier à l’encontre de Jean Ping. Selon lui, l’ancien président de la commission de l’Union africaine «s’est joint à la cohorte d’un certain nombre de leaders politiques qui n’ont, vis-à-vis de (sa) personne et du parti (qu’il) représente, que de la haine». «Ils n’ont pas de projet. Je veux connaître leur projet pour le Gabon», n’a cessé de répéter Alain-Claude Billie By Nzé, pour qui «(Ali Bongo) s’active à mettre en œuvre un projet de société». Mais c’est surtout contre les supposées attaques personnelles et la prétendue querelle de personnes que s’élèvent le président de la République et son porte-parole, évoquant «la haine» et «le délit de patronyme» dont serait victime Ali Bongo.
Une affirmation étonnante, car si l’ancien ministre de la Défense d’Omar Bongo a pu être investi par le PDG face à 2 anciens Premiers ministres, avant de bénéficier du soutien de l’administration, de l’ensemble des institutions politiques, de l’armée et même de la communauté internationale dans sa conquête du pouvoir suprême, ce fut justement au nom du père, en reconnaissance des services rendus par son illustre paternel. Chacun se souvient encore avoir entendu Ali Bongo dénoncer «ceux que (son) père a enrichis» ou «ces ingrats et traitres». 5 ans plus tard, la vieille rengaine semble, d’ailleurs, toujours de saison. «Du haut de son ingratitude, (Jean Ping) ose cracher sur la tombe d’Omar Bongo», lançait Alain-Claude Billie By Nzé, le 29 juillet dernier sur la télévision française France 24. Tout est dit… En temps normal, cette doxa n’aurait pas pu prospérer. Certes, la majorité se serait défendue. Mais, elle aurait sans doute préféré parler de «ceux qui se sont enrichis sous (mon) prédécesseur» ou de «déloyauté» voire de «perfidie». En aucun cas, la vulgate propre aux capitaines d’industrie n’aurait dû faire irruption dans le débat sur la gestion de la chose publique.
Plans sectoriels juxtaposés
De tout ceci, Ali Bongo et ses proches n’ont cure. Depuis qu’ils ont repris les rênes du pays, ils ont adopté une curieuse posture, mélange de victimisation et de bouc-émissarisation sur fond de prétention messianique. Ils donnent ainsi l’impression de croire être les seuls à même d’accoucher d’éléments programmatiques ou de pouvoir conduire le peuple vers cette prospérité tant rêvée. «Le PSGE procède d’une vision, d’une approche qui nous a conduit à nous définir un programme de développement ambitieux», affirmait Ali Bongo lors de la 69ème session de l’ONU. «Rien, ni personne, ne pourra me dévier de cette trajectoire», assénait-il lors de la célébration des 54 ans du pays. Or, le pays bruit de «rumeurs, calomnies, médisances» colportées par ceux dont «le dessein machiavélique (…) est de voir notre pays s’embraser».
Ali Bongo mise donc sur une stratégie à double détente pour éteindre le brasier social, s’assurer la sympathie des populations et réduire la contestation. D’une part, il entend reléguer l’opposition au rang de conglomérat d’«aigris» habités par une envie de «reconquérir leurs privilèges». D’autre part, il espère que la mise en avant d’éléments programmatiques suffiront à disqualifier ses adversaires. Pour lui, les Gabonais «ne veulent plus de l’attentisme, des palabres politiciennes stériles, des grandes messes inutiles, bref tout ce qui a contribué à gangrener notre vie politique ces 20 dernières années». «L’amélioration du quotidien des gabonais est le fondement du contrat que j’ai passé avec mes compatriotes qui m’ont porté à la tête de notre pays. C’est fort de cela que j’ai proposé un projet de société avec des données maîtrisées et réalistes. Ce projet, auquel le peuple gabonais a adhéré, je l’ai décliné en un Plan stratégique Gabon émergent (PSGE)», martèle-t-il, soulignant qu’«il ne peut y avoir aucun développement dans la haine et la division».
Doit-on pour autant en déduire que pour Ali Bongo le fait d’égrener des éléments programmatiques suffit à dire que l’on est l’incarnation ou tout au moins le porteur d’une vision cohérente, articulée avec prise sur le réel ? Peut-on considérer que pour lui le fait de disposer de plans sectoriels juxtaposés suppose que l’on soit capable de fédérer, que l’on ait une force d’entraînement ? Est-on fondé à conclure que le fait de brandir un projet conçu en cabinet induit que l’on soit à même de mettre en place l’organisation requise pour sa mise en œuvre ? L’autorité naturelle peut-elle s’accommoder de la tendance au repli sur son camp ? L’autorité professionnelle peut-elle être revendiquée avec des états de service qui laissent à penser que l’on a davantage emprunté l’escalier de service que le passage ordinaire ? L’autorité administrative ou institutionnelle suffit-elle à en imposer au reste des parties prenantes ?
Tour de Pise
En apparence, la stratégie d’Ali Bongo est gagnante. Elle sème le trouble dans les rangs d’une partie de l’opposition, à l’évidence mal à l’aise avec un passé qu’elle n’assume que trop difficilement. A certains égards, elle renvoie dos à dos les 2 camps, offrant au président de la République l’occasion de se mettre au-dessus de la mêlée tout en ravalant les leaders de l’opposition au rang d’Iznogoud. Parfois, on en arrive même à avoir le sentiment que seule la majorité porte un projet alors que l’opposition n’a de cesse d’exiger des réformes institutionnelles qui, à l’inverse, font cruellement défaut au PSGE. Garantes de la cohérence des plans sectoriels, les réformes institutionnelles sont, au demeurant, un outil au service des objectifs de développement. Elles constituent un préalable indispensable car, pour résoudre les problèmes de fond, il faut tenir compte des interactions entre parties prenantes.
La question institutionnelle et démocratique reste donc entière. Bien entendu, le contexte condamne à s’en remettre aux institutions actuelles. Mais, il serait hasardeux de vouloir nier le discrédit qui les frappe ou passer par pertes et profits la défiance dont font montre les populations à leur endroit. Tant de choses ont été dites et écrites sur elles, sur leur prétendue partialité. «La cour constitutionnelle c’est la Tour de Pise qui penche toujours du même côté», lançait, en 2009, André Mba Obame. Depuis, cette sentence a fait florès. C’est dire si elle correspond au ressenti des observateurs et du petit peuple. Un projet de société qui n’entre pas en résonance avec la société est-il viable ? Nos institutions fonctionnent. Mais, elles fonctionnent vaille que vaille. De ce fait, un projet de reconstruction du Gabon ne peut faire l’économie de leur remise à plat.
Certes chaque plan sectoriel du PSGE contient des lignes consacrées aux réformes institutionnelles. Mais, est-il honnête de considérer que tout cela peut déboucher sur une refonte de notre système institutionnel ? Non : dans bien des cas, les réformes préconisées sont plutôt administratives quand elles ne sont pas cosmétiques ou inopérantes. Quoi qu’il en soit, le sentiment des populations en dit long sur la nature de nos institutions et leur capacité à sinon féconder, du moins accompagner un développement véritable, au service du citoyen. Tout bien pesé, le débat sur les infrastructures est secondaire. Le fond du problème reste le même depuis 24 ans : nos institutions actuelles répondent-elles aux attentes des populations, peuvent-elles catalyser le développement économique et social ? Un exercice de benchmarking avec les pays d’Europe de l’Est, qui ont vécu leur révolution démocratique en même temps que le Gabon, permet d’y répondre. Se refuser à cela, n’est pas porter un projet pour le pays. Ne pas l’admettre c’est concevoir un projet sans la société …