Aux XXIe siècle, aucune question n’est plus complexe et ne demanderait à être traitée avec plus de précautions que celle qui porte sur les rapports entre la « lutte contre la corruption » proprement dite et le devenir démocratique des sociétés contemporaines.Car, avec la corruption, on a affaire à un phénomène d’une extraordinaire gravité et qui menace très sérieusement la stabilité démocratique des Etats de la planète.Quand on évoque ou réfléchit sur ce phénomène, il faut éviter, d’emblée, de le « culturaliser », car il s’agit d’un fléau qui ravage tous les pays du monde.Disons-le clairement, les structures dédiées à la lutte contre la corruption au sein des Etats africains, bien que budgétivores, restent, avant tout, de véritables entreprises de distraction publique
Mais il se trouve qu’en Afrique, la corruption a tendance à devenir carrément un mode d’existence, une « technique sociétale », c’est-à-dire un savoir-faire spécialisé et rationnellement élaboré. Et, il suffit de constater combien le mot corruption s’embrume dès qu’on touche les domaines politique et économique.
Sur le continent africain, le phénomène de la corruption est promu et cultivé dans les plus hautes sphères de l’Etat.
En Afrique, certains Etats affichent une « volonté politique » de lutte contre la corruption, en créant des « structures publiques » dédiées à cet effet. Ce qui sous-entend que nombre de dirigeants africains ont compris que la corruption est à la fois manquement à la morale et à la bonne gouvernance.
Au Mali, le vérificateur général, Amadou Ousmane Touré, en poste depuis trois ans, vient de rendre public « le rapport 2012 » de l’institution qu’il dirige . Et à sa lecture, tous les observateurs et fins connaisseurs du Mali reconnaissent que les conclusions de ce rapport, pour les autorités politiques maliennes, plus précisément celles qui ont eu à gérer la période de la transition, sont accablantes. Mais il convient de rappeler qu’avant l’actuel vérificateur, son prédécesseur, Sosso Diarra, un homme déterminé et imperturbable, avait régulièrement mis en lumière l’ampleur du phénomène de la corruption sous le régime « démocratico-paternaliste » de Amadou Toumani Touré (ATT). Il n’a jamais été entendu, et les nombreux scandales politico-financiers que son institution avait révélés n’ont jamais reçu de suites judiciaires.
Aujourd’hui, son successeur, lui aussi un homme de bonne volonté, un républicain dévoué, n’hésite pas à affirmer qu’au Mali, « une véritable mafia financière est en train de se momifier ». Cet homme intègre appelle tous les citoyens maliens à se sentir concernés par ce phénomène. A travers le rapport 2012, le vérificateur général déconstruit, de manière courageuse et méthodique, les mécanismes ou procédés mafieux et frauduleux qui ont été établis par les élites dirigeantes au cœur même du fonctionnement de l’Etat malien. Face à ce désastre politico-moral, Amadou Touré se sent résigné, car il a l’impression que le système de la corruption est comme investi d’une puissance d’auto-perfectionnement.
En vérité, nombre de dirigeants africains, qui osent créer des structures dédiées à la lutte contre la corruption, finissent par craindre eux-mêmes d’en être prisonniers. Et c’est dans cette contradiction qu’il devra se résoudre à admettre qu’autour de la structure qu’il dirige, des aberrations politiques ne cesseront de se multiplier sans relâche. Au fond, les Etats de notre continent ne veulent pas du tout se faire kara kiri.
Au fait, pour ces Etats, la lutte contre la corruption garde une signification méprisante. C’est pourquoi en Afrique, nous ne sommes pas tout à fait au clair avec nous-mêmes sur ce que nous entendons par « lutte contre la corruption ». Ainsi, le phénomène de la corruption a fini par défigurer sur la scène internationale le visage même de certains pays tels que le Nigeria et le Cameroun. Disons-le clairement, les structures dédiées à la lutte contre la corruption au sein des Etats africains, bien que budgétivores, restent, avant tout, de véritables entreprises de distraction publique.
Avant d’être politique, le remède reste moral. Car, le phénomène de la corruption pose à tout un chacun un problème de responsabilité morale permanente
L’intrusion des Etats dans la lutte contre la corruption relève de la pure supercherie intellectuelle et morale.
En vérité, on a affaire purement et simplement à des opérations politiciennes de manipulation et de trahison des idéaux démocratiques et républicains. C’est un certain état d’esprit concernant « le bien public » qui est la cause de la corruption. Seules « les sociétés civiles » peuvent mobiliser des forces susceptibles de s’opposer effectivement et de lutter efficacement contre ce fléau. Par exemple, en France et en Allemagne, avec les ONG « Sherpa » et « Transparency inernational », face au phénomène de la corruption, la culture de la fatalité a été brisée. A travers leurs initiatives, ces ONG ont réussi à établir clairement, aux yeux des opinions publiques mondiales, en quoi la corruption est un péché contre la démocratie et contre la vie elle-même. En Afrique, les plus monstrueux excès dont se sont rendus coupables plusieurs régimes du continent, apparaissent comme l’expression ultime de logiques politiques fondées sur la corruption. Contrairement aux pays occidentaux, pays prospères, où les besoins sociaux fondamentaux des citoyens sont satisfaits, en Afrique, les peuples restent déguenillés, abandonnés à leur triste sort.
Mais en Afrique, comme partout ailleurs, il faut sortir de la niaise sentimentalité afin d’accorder à la lutte contre la corruption « une valeur proprement spirituelle ». Car, nos gouvernants ne sont pas des saints, et il existera toujours une catégorie d’individus pour laquelle, il faudra avoir « le bras assez long » pour se procurer rapidement des avantages qu’elle ne saurait obtenir si elle était réduite à ses seules ressources. Or, celui qui veut tout obtenir de soi et tout de suite, ne parviendra jamais à la sagesse. Oui, reconnaissons-le, la difficile lutte contre la corruption reflète la situation spirituelle tragique des sociétés contemporaines. Avant d’être politique, le remède reste moral. Car, le phénomène de la corruption pose à tout un chacun un problème de responsabilité morale permanente. Et, l’amour du bien public ne s’incarne que dans la République, où l’on ne songe pas aux avantages matériels immédiats que peut rapporter l’exercice de toutes fonctions liées à l’Etat.