En ralliant la majorité, il voulait contribuer à impulser un «nouveau départ». Aujourd’hui, il prévient contre les risques d’une absence de démocratie. Sera-t-il entendu ? Rien n’est moins sûr…
On l’a toujours décrit comme un homme aux humeurs et positions changeantes. Certains ont même découvert l’adjectif «versatile» grâce à lui tant il lui fut accolé à l’aube des années démocratiques. Son engagement en faveur du RSDG (Rassemblement social-démocrate gabonais, parti unique multi-tendances proposé en 1990 par Omar Bongo pour remplacer le PDG, parti unique monolithique), et sa spectaculaire volte-face au bénéfice de la «démocratie intégrale» sont restées dans les mémoires.
On peut toujours enfoncer les portes ouvertes, bavasser sur sa perte de crédibilité et de popularité. Mais, Paul Mba Abessole est un rhéteur, un homme de culture rompu au maniement des idées et concepts. C’est un homme politique qui aime défricher des sentiers, ouvrir des chemins, qui peuvent ne mener nulle part, mais qui offrent toujours des respirations intellectuelles. Quand en 2010, il rallie l’actuelle majorité, il croit faire d’une pierre deux coups : se rendre utile et tirer un profit personnel de son positionnement. Aujourd’hui, il ne peut que déchanter. A ses yeux, les choses sont d’une limpidité cristalline : le pays est «bloqué» et le seul moyen d’en sortir est de «déterminer ensemble le contenu de ce que nous appelons notre bien commun».
Paul Mba Abessole se remémore sans doute son passé. Il sait qu’en 2 ans beaucoup d’eau peut couler sous les ponts. Il mesure combien une présidentielle mal organisée ou un hold-up électoral peuvent porter préjudice à l’ensemble de la nation et la plonger dans l’incertitude voire le chaos. Voilà pourquoi il juge qu’il y a urgence à agir, que le danger est beaucoup plus imminent que certains ne veulent le laisser croire. Pour lui, «le mauvais fonctionnement de l’administration, des structures de l’Etat, les violations des droits humains, le tribalisme, l’éclatement des familles, le rejet des valeurs de référence, la perte de l’autorité, le laxisme, l’insécurité, l’ignorance, les détournements des fonds publics, la corruption, la division du pays en nord et sud, le règne absolu d’un parti politique qui se vante de son hégémonie», sont les causes de cette situation chargée d’incertitudes.
Avec l’actuelle majorité, le président du Rassemblement pour le Gabon a très vite eu l’opportunité de voir apparaître les dysfonctionnements qu’il pressentait. Candidat aux législatives partielles de décembre 2011, il affirmait déjà, haut et fort, sa crainte de voir «dans notre prochaine Assemblée de nombreux députés sortis de la fraude». Au cours d’un meeting de la majorité au carrefour Rio en octobre 2011, il invitait «ceux qui sont soucieux de l’avenir de notre pays à se battre pour que les prochaines élections se passent dans la transparence». «Sans transparence, disait-il, nous risquerions de nous voir relégués parmi ceux qui ne veulent pas comprendre». «Et, ajoutait-il, ceux qui ne veulent pas comprendre finissent par subir un traitement particulier». Ce jour-là, il réaffirmait sa conviction profonde. Il distillait l’idée que l’absence de transparence électorale est la mère de tous les maux dont souffre le Gabon et qu’un retour de bâton préjudiciable à l’ensemble du pays est à craindre, à terme. Bien entendu, il n’avait pas laissé deviner quand ni où se situe ce terme…
Crise de régime
Paul Mba Abessole a toujours mis en exergue la permanence de certains débats et les combats qu’il a livrés de par le passé pour justifier ses postures successives. Mais, s’il est une constante, c’est bien qu’il a toujours manié les idées, développé des concepts, fussent-ils brumeux, dans le souci de placer l’homme au cœur du jeu politique. Là réside le sens profond de son désormais célèbre «école cadeau, hôpital cadeau, travail pour tous». Là résident aussi les raisons idéologiques du malaise qu’il laisse éclater. C’est, en effet, dans les domaines de l’éducation nationale, de la santé et de l’emploi que la Majorité sociale et républicaine pour l’émergence a le plus de mal à s’affirmer. Ayant toujours prétendu qu’il «n’y a guère de domaine d’activité, dans notre pays, où le (RPG) n’ait proposé un concept pertinent», il ne peut se résoudre à constater quel’actuelle majorité tient le «Plan stratégique Gabon émergent» pour un document achevé, un «prêt-à-penser» que rien ni personne ne peut remettre en cause, fermant ainsi la porte à tout débat ou à toute discussion programmatique. Ayant toujours affirmé quele RPG est «un ferment dans la pâte de notre République, depuis plus de 20 ans» et n’ayant de cesse de répéter qu’«on ne peut pas parler de République aussi longtemps que tous les responsables politiques et administratifs du pays sont d’un seul parti politique», il ne peut décemment continuer à cautionner que l’appartenance au PDG soit un critère majeur de sélection dans les institutions et la haute administration. Dans ce contexte, les départs successifs de personnalités telles que Christian Oddou Mba ou Rose Allogho Mengara sont le signe du caractère critique et heurté des relations au sein de la majorité.
La récente sortie du président du RPG sur l’absence de démocratie au Gabon ne saurait être tenue pour l’expression de simples états d’âme. Elle traduit une crise politique voire une crise de régime latente. Certes, on peut toujours rétorquer que les institutions fonctionnent tant bien que mal. Mais, on est obligé d’admettre que le non-remplacement du ministre de l’Education nationale, 1 mois après sa démission et à la veille de la rentrée des classes, traduit la perte d’influence du gouvernement dans la gestion de l’Etat. On est contraint de reconnaître que la colère des avocats suite aux affaires Ndoye Louri et Mayila est l’expression d’une crise de l’autorité judiciaire. On doit se résoudre à entendre que le mutisme de l’Assemblée nationale face au traitement réservé à la loi de finances est symptomatique d’une connivence institutionnelle. On ne peut que concéder que le piratage des journaux «La Loupe» et «L’Aube» procède d’une volonté d’asservir la presse. Et, on doit accorder que l’emprisonnement de 46 étudiants grévistes n’est pas pour rassurer quant au respect des droits humains.
Qu’on le veuille ou non, le constat dressé par Paul Mba Abessole est là et plus que jamais perceptible : au refus des institutions de jouer le jeu démocratique, à l’impuissance de la puissance publique face aux problèmes quotidiens, à la crise morale dénoncée depuis bien longtemps, sont venues s’ajouter une défiance institutionnelle, une crise intellectuelle et une peur du lendemain. On est loin du «nouveau départ» qu’escomptait le RPG, très loin de «l’avenir en confiance» que vantaient les affiches d’Ali Bongo en 2009. Au-delà des intérêts personnels, tout indique que, depuis maintenant 5 ans, les Gabonais n’ont jamais été placés en situation d’«agir ensemble». Du coup, les propos du président du RPG prennent un autre sens, une autre teneur, une autre ampleur. Si l’homme donne l’impression d’être plus mécontent que prévenant, son constat n’en demeure pas moins évident et son analyse pertinente. Est-ce le clap pour un «nouveau départ» personnel ? Est-il audible pour autant ? Rien n’est moins sûr ! Membre éminent d’une majorité qui a mis en place «une biométrie façon façon» et qui fait dans le «bluff», il pourrait bien s’entendre répondre : «Laissez-nous avancer»…..