Depuis l’opération de récupération des véhicules administratifs immatriculés en «100», des hauts fonctionnaires, et même des membres du Gouvernement actuel, ont planqué ces voitures pour ne pas se les faire reprendre.
Dans le vocabulaire politico-administratif gabonais, il y avait déjà «roitelets», ces hauts fonctionnaires qui se déclarent être proches du chef de l’Etat et n’ont de ce fait pas de compte à rendre à leur hiérarchie, concernant leur action publique. Ce qui, selon eux, leur confère un statut particulier. En son temps, Omar Bongo les avait dénoncés et promis de mettre fin à leurs pratiques. Il faudrait dorénavant, dans ce vocabulaire, ajouter le mot «voyoucrate». A ce propos, l’encyclopédie participative en ligne Wikipédia renseigne que la voyoucratie est une «forme de gouvernement fondée sur des méthodes de voyous» et que, par extension, c’est le «type de pouvoir exercé par les voyous ; la suprématie des voyous».
Le ministre-voyou ou voyoucrate est un membre du gouvernement qui tient à tout prix à conserver, bien qu’il dispose bien souvent d’un parc automobile impressionnant, les véhicules que l’Etat a mis à sa disposition pour ses fonctions précédentes. Et particulièrement les véhicules immatriculés en «100» qui, au départ, ne devaient servir que pour les conférences internationales organisées dans le pays, mais dont les hauts fonctionnaires du ministère des Finances/Budget ont travesti l’idée initiale pour s’approprier éhontément ces moyens de locomotion. Depuis quelques années, les voitures portant l’immatriculation 100 sont signe de propriété personnelle de ceux à qui ils elles ont été affectées ! C’est la raison pour laquelle des ministres et hauts fonctionnaires ont décidé de planquer ces voitures. Certains en sont même venus à retirer ces plaques d’immatriculation, et roulent ainsi ces automobiles durant le week-end.
Une opération de récupération des véhicules immatriculés en 100 a démarré début-septembre dernier. Elle consiste à les retirer à ceux qui n’y ont plus droit, parce que n’exerçant plus au ministère du Budget ou de l’Economie. L’opération porte essentiellement sur les véhicules haut de gamme (Toyota VX, Nissan Patrol, Lexus) et de gamme moyenne (Mitsubishi Pajero, Suzuki Grand Vitara, etc.) Récupérer ces véhicules revenait donc à redonner au parc automobile de l’Etat des bolides devant servir à ce à quoi ils sont réellement destinés. Mais certains ministres s’y refusent, donnant ainsi le sentiment que le changement de paradigme tant exalté ne les concerne point.
Dans ce vilain jeu d’appropriation des biens collectifs, se trouve un ancien ministre délégué au Budget, mais aussi un ex-ministre de l’Economie et un ex-ministre des Transports. Les véhicules immatriculés en 100 de ces trois membres du gouvernement toujours en exercice ont été planqués à des endroits insoupçonnables. Pour le premier, chez le petit frère. Pour le second, à son domicile. Les chauffeurs sont instruits de ne plus les sortir des parkings. L’un de ces chauffeurs, plutôt agent de sécurité, raconte comment son «patron» lui a demandé de retirer les plaques 100 jusqu’à nouvel ordre… Mais cette pratique n’est pas observée que chez les ministres sus cités. D’autres ministres, actuels ou anciens, se sont également mis à cette pratique.
Cette boulimie, cette envie de tout avoir, de s’accaparer les biens collectifs, cette émergence d’excès en tous genres – en un mot, les pratiques de ces voyoucrates constituent un gros caillou sur le chemin de la moralisation prônée par le président de la République. Malgré les multiples rappels à l’ordre du chef de l’Etat, malgré cette sorte de pédagogie à la responsabilisation prônée par le n°1 gabonais, on en est encore à toujours vouloir voler à la collectivité, à prendre plus que ce à quoi on a droit. Ali Bongo se doit de mettre fin à ce Gabon en faillite morale.