Faut-il tout médiatiser ? A qui appartient la télévision publique ? Doit-on tout montrer, tout donner à voir ? Quand on est nommé au gouvernement, devient-on le ministre chargé de tout dans la localité dont on est originaire ?
Si l’on peut comprendre qu’un ministre ayant un mandat national ou local se rende avec tambours et trompettes dans sa localité d’origine, le fait devient incompréhensible lorsqu’il s’agit de personnalités sans mandat électoral ou de hauts fonctionnaires.
A un an et onze mois de la prochaine élection présidentielle, tout a l’air de se déglinguer. Ou plutôt le Gabon semble revenir vingt ans en arrière. La géopolitique est de retour : les membres du gouvernement s’entourent de «gens de chez eux» ; ils vont dans leurs localités d’origine et ignorent le reste du pays «comme au bon vieux temps».
Pourquoi Nelson Noël Messone, ministre de la Forêt, de l’Environnement et de la Protection des ressources naturelles, a-t-il choisi d’aller, pour sa première visite politique en province, à Ovan ? Il s’y est rendu pour entretenir chefs de regroupement et chefs de canton du département de la Mvoung et chefs de quartier de son chef-lieu des réalisations actuelles et à venir du régime de l’Emergence. Est-ce à un non élu, fût-il ministre, de le faire en ce lieu ? Comment comprendre qu’il y soit allé sans le député de la contrée, Paul-Marie Essié Emane ?
Deuxième cas : Guy-Bertrand Mapangou. Sans aucun ancrage local à Fougamou, bien que natif de cette ville, le ministre de l’Intérieur, de la Sécurité publique et de la Décentralisation est allé dans le chef-lieu du département de Tsamba-Magotsi pour organiser, avec «ses proches», un tournoi de football et offrir «une bonne rentrée scolaire» aux enfants de cette localité. Ni la Sénatrice Lucie Aubusson Mboussou, ni les députés de la circonscription, Marcel Doupamby Matoka et Dieudonné Mondjo, n’ont été associés à cette tournée politique du ressortissant de Mandilou.
Troisième cas : Christophe Akagha Mba, ministre de l’Economie et de la Prospective. Accompagné de sa «troupe» à lui, et non du sénateur Jean-Louis Mombo Mombo et du député Julien Nkoghé Bekalé, le ministre a fait une tournée d’une semaine dans sa localité d’origine pour «vendre» le Gabon de l’Emergence. Autre cas : Désiré Guédon à Gamba et dans le département de Ndougou, Marcelin Agaya à Omboué et dans le département d’Etimboué.
Les absurdités ne s’arrêtent pas là : il y a des membres du gouvernement qui vont dans leurs localités d’origine pour aller y suivre des chantiers réalisés par l’Etat. Pourquoi Raphaël Ngazouzet, ministre délégué aux Transports, va-t-il visiter, à Booué, en lieu et place de Pacôme Moubélet Boubéya, le chantier de construction de l’Ecole Supérieure des Métiers du Bois ? Il a beau être un élu national de Booué, est-ce à lui de le faire, alors qu’il y a un ministre de l’Enseignement supérieur et un ministre de la Forêt dans le gouvernement de la République ? Est-ce à Marcellin Agaya d’aller se rendre compte, en l’absence de l’Honorable Célestine Bâ-Oguéwa par exemple, de l’état d’avancement des chantiers relatifs au dispensaire, aux écoles, à la voirie du chef-lieu d’Etimboué ? Pourquoi Louis-Philippe Mvé Nkoghé peut-il se permettre d’aller organiser la Fête des mères à Mitzic en l’absence des élus de cette localité, en l’absence de l’Honorable Françoise Assengone Obame ayant un ancrage dans la localité ? Celle-ci est bel et bien le député de la circonscription. On note également le cas de hauts fonctionnaires qui se croient obligés d’amener des équipes de la télévision publique dans leurs localités pour montrer les actions qu’ils mènent dans leurs «fiefs». Tout cela amène à des questionnements : qui a droit à la télévision publique ? Suffit-il d’avoir pignon sur rue pour médiatiser tout ce que l’on va faire «au village» ?
Lorsqu’on est nommé au gouvernement, devient-on le ministre chargé de tout dans le département dont on est originaire ? N’est-il pas frustrant de n’être que le ministre de sa localité, de son village ? Toutes choses qui donnent du membre du gouvernement une stature plutôt locale, alors qu’il devrait avoir une stature nationale. Pour paraphraser Coluche, l’humoriste français, «cela réduit le ministre à un vulgaire rôle de chef de canton !»
L’idéal serait que les élus nationaux et locaux accompagnent, dans un même élan, un membre du gouvernement à une manifestation locale, et que celui-ci, s’il le désire, prenne la parole. L’idéal serait aussi que ce soit le ministre de l’Enseignement supérieur, même s’il est originaire de Koulamoutou, qui aille s’enquérir de l’état d’avancement du chantier de l’Ecole supérieure des Métiers du Bois à Booué. Quid du changement de paradigme promis dans la gestion de l’Etat ?
Ainsi, dans les faits, les «années Emergence» ne diffèrent en rien des «années Omar» durant lesquelles les ministres ne devaient pas avoir de stature nationale. Un état des choses qui fait dire à un sociologue, enseignant à l’UOB, qu’ils ne sont pas des ministres de la République ! «Ils oublient le pays, ils n’aiment que leur localité !».