YAOUNDE- Pour son ampleur et les moyens à la fois humains, financiers et matériels mobilisés pour tenter de l’enrayer, la crise du Sahel caractérisée par une forte poussée de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest à l’origine d’une vaste et difficile intervention militaire au Mali, son épicentre devenu, est sans conteste l’événement le plus marquant en 2013 en Afrique.
Dans son déchaînement manifesté dans d’autres pays de la région comme le Niger déjà en proie à des prises d’otages, cette crise ayant ébranlé le Mali dans son identité et son intégrité territoriale symbolise la propagation d’une sorte d’"axe du mal" où les acteurs sont principalement ce que le géostratège Joseph Vincent Ntuda Ebodé désigne par "multinationales de la criminalité ".
Conséquence de la sale guerre imposée à la Libye en 2011 par les puissances occidentales emmenées par la France avec ses alliés britannique et américain, et a qui vu quantités d’armes larguées depuis les avions de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) se retrouver entre les mains de groupes terroristes, elle n’ est pas près d’arrêter de faire parler d’elle, estime l’ universitaire camerounais.
"Il y aura certainement stabilisation, a guidé celui-ci à Xinhua, au sens où les Etats ont encore une capitale qui fonctionne. Mais cela ne signifie pas qu’il y aura pacification, c’ est-à-dire qu’il y aura toujours des attentats de temps à autre, en raison de l’étendue du territoire, mais aussi d’un phénomène qui semble se généraliser : cette opposition latente entre les musulmans et les chrétiens."
ECONOMIE CRIMINELLE
Avec la secte islamiste Boko Haram, le Nigeria ne compte plus les morts dus au conflit interreligieux évoqué : environ 1.200 décès recensés depuis mai dans le pays à cause des violences orchestrées par la fameuse organisation terroriste. Pour sa part, le Mali s’est révélé impuissant à stopper la destruction par les " fous d’Allah", de ses mausolées, manuscrits et autres sites culturels inscrits au Patrimoine mondial de l’UNESCO.
Dans une volonté de faire régner la charia pour certains et de promouvoir le business du crime organisé pour d’autres, les jihado- terroristes d’Ansar Eddine, du Mouvement pour l’unicité du jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et d’Al Qaïda du Maghreb islamique ( AQMI) ont décidé de défier l’autorité politique établie à Bamako en faisant du Nord-Mali un important champ d’expérimentation de leurs basses besognes.
Spécialisées dans les prises d’otages libérés après paiement de rançons, le trafic de drogues et le pillage de ressources naturelles, ces organisations opèrent en véritables mafias par " une économie criminelle qui se reproduit d’elle-même et tous ceux qui ont un intérêt implicite ou explicite sur cette économie, eux aussi, parce qu’ils reçoivent des bénéfices quelconques, officiellement peuvent faire semblant de lutter mais en réalité traînent le pas", note le Pr. Ntuda Ebodé.
Fin janvier, l’Union africaine (UA) a dû réunir à son siège d’ Addis-Abeba en Ethiopie une quinzaine de pays et organisations internationales lors d’une conférence des donateurs qui avait enregistré plus de 455 millions de dollars de promesses de financement sur un total de 960 millions de dollars de besoins au profit de la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA).
Projetée à 8.000 hommes, des militaires, des policiers et des civils, cette force multinationale a été opérationnalisée en partie, en plus des unités mobilisées par les pays du champ, grâce à un appui significatif du Tchad avec la mise à disposition de 2. 000 soldats de son armée reconnue pour sa longue expérience de combat dans le désert. Et aussi de l’opération Serval déployée par la France.
Sans pour autant parvenir à les anéantir, cette vaste intervention militaire a le mérite d’avoir réduit l’ampleur de la menace terroriste dans le pays, tout comme les négociations de paix en cours à Ouagadougou au Burkina Faso entre le pouvoir de Bamako et les groupes armés non terroristes dont notamment le MNLA laissent dessiner des perspectives d’une normalisation politique.
Mais le défi de la pacification du territoire reste énorme pour l’instant, de l’avis du Pr. Ntuda Ebodé. "C’est quand même une multinationale de la criminalité à laquelle on fait face et tant que ces multinationales ont des Etats qui les financent, je ne vois pas comment seuls les Etats qui attaquent ou seuls les Etats qui contrattaquent auraient le dessus à chaque occasion. C’est deux systèmes de rapport de forces qui vont chercher à se neutraliser."
FORTES COMPLICITES
Il y a plus encore, le jeu trouble de certaines des puissances engagées dans cette guerre contre le terrorisme. "Si ces puissances continuent à collaborer ouvertement avec d’autres Etats qui financent ces mouvements, on peut se poser la question de savoir s’il n’y aurait pas un autre agenda caché, par exemple du type de créer le désordre pour d’autres raisons géostratégiques. C’ est-à-dire le désordre viserait donc à justifier les interventions", tranche l’analyste.
"Il y a une vingtaine d’années le terrorisme de cette nature-là, poursuit-il, c’était au Moyen et au Proche-Orient. C’est entré par les côtes est-africaines, c’est entré aussi à travers le Nord de l’ Afrique. Ça a progressé à travers le Sahara. Ça a atteint le Golfe de Guinée dans son compartiment continental et dans son compartiment maritime. Cela signifie que malgré la présence des Etats et des puissances ça s’est propagé. Et si ça s’est propagé, ça veut dire que soit il y a de fortes complicités, soit c’est des forces qui sont suffisamment structurées. Mon avis, c’est qu’il y a les deux."
C’est donc en fin de compte tout le continent africain qui est confronté à la propagation du terrorisme. Qu’il s’agisse du Golfe d’Aden ou du Golfe de Guinée (déclaré "zone d’intérêt vital" par les Etats-Unis pour ses immenses richesses en hydrocarbures), la criminalité transfrontalière et le grand banditisme matérialisés en l’occurrence par les attaques de navires de transport de marchandises sont légion.
C’est par exemple la raison de la tenue en juin à Yaoundé d’une conférence internationale sur la sûreté et la sécurité maritimes dans le Golfe de Guinée, une zone maritime d’environ 6.000 km où le Bureau maritime international (BMI) établit une liste de 966 marins ayant été victimes d’attaques en 2012 et estime entre 34 et 101 millions de dollars américains le coût des marchandises volées par les pirates.
Dans chacune de ces régions, le principal enjeu réside dans le contrôle des richesses du sol et du sous-sol qui suscitent les convoitises de puissances occidentales.
"Depuis un certain temps, atteste Ntuda Ebodé, les puissances autres que les puissances occidentales traditionnelles sont entrées en force dans le champ très compétitif des ressources africaines. Alors, celui qui intervient pour les raisons de terrorisme prend un avantage au plan opérationnel dès lors qu’il vient installer des forces qui officiellement sont là pour le terrorisme, mais évidemment peuvent agir ou interagir à tout moment contre une autre puissance qui viendrait tout simplement pour les affaires."
Par manque de moyens d’action (humains, financiers et matériels) et de solidarité avérée – on le voit par exemple avec l’ opérationnalisation sans cesse repoussée de la Force africaine en attente (FAA) –, les Etats africains sont incapables de mener eux- mêmes le combat. Dès lors, le terrorisme au Sahel ou ailleurs sur le continent peut se réjouir d’avoir de beaux jours encore devant lui.