En traitant un ancien haut commis de l’Etat d’«étranger», le président de la République a laissé planer le doute sur l’idée qu’il se fait du Gabon en tant que nation.
Telle que voulue par Ali Bongo, l’intégration à la gabonaise a-t-elle vécu ? Après avoir, contre vents et marrées, voulu donner le sentiment qu’il a une certaine idée de la nation gabonaise, le président de la République est-il en train de se dédire et de tomber dans l’excès inverse ? La teneur des propos qu’il a tenus, le 16 août dernier, face à la presse le laisse croire. Entre le fait qu’il ait affirmé qu’un ancien directeur général des hydrocarbures est «étranger» et son choix d’accoler le mot «étranger » au nom d’un personnage aussi connu qu’Albert Tévéodjré, il semble avoir fait le choix d’insister sur les origines des uns et des autres. Simple péripétie ? Figure rhétorique ou recherche d’arguments ? Voire….
En présentant, sans le citer, Samuel Dossou Aworet, comme un «étranger», Ali Bongo a pris une responsabilité devant l’histoire. Si Jean-Pierre Lemboumba Lepandou, alors opposant au régime, avait qualifié, le Monsieur pétrole de l’ère Omar Bongo de «ministre béninois du pétrole gabonais», c’est bien la première fois qu’un dirigeant politique en responsabilité le fasse. Fils aîné d’Omar Bongo dont il fut le haut-représentant personnel, ancien député, ancien ministre des Affaires étrangères, ancien ministre de la Défense et président de la République depuis 5 ans maintenant, Ali Bongo a occupé et occupe des fonctions qui donnent une résonance particulière à son propos. Pour ainsi dire, le président de la République affirme que sous son prédécesseur, dont il est aussi le fils et dont il fut ministre, le pétrole gabonais était sous le contrôle d’un expatrié. Si ce n’est pas du nationalisme ou tout au moins une dénonciation du rôle que cette personnalité a pu jouer, ça y ressemble étrangement.
Depuis bientôt 5 ans, l’opinion n’a de cesse de dénoncer la présence de la «légion étrangère» au plus haut niveau de l’Etat. En choisissant de présenter Samuel Dossou-Aworet comme un «étranger» à l’occasion de la Fête nationale, Ali Bongo en rajoute brusquement. Voulant à tout prix confondre Jean Ping, oubliant que la circonstance commandait de la solennité, faisant fi du fait qu’il parlait de la gestion de la principale ressource naturelle du pays, il a fait, au moins autant de dégâts que ceux qu’il dénonce. D’ores et déjà, il convient de rappeler que ce type de propos fait le lit du nationalisme. Bien entendu, les zélateurs de l’émergence à la gabonaise s’en défendront. Ils invoqueront la nécessité de rétablir la vérité historique et de livrer les faits tels qu’ils se sont déroulés. Mais, il convient de leur rappeler que la Fête nationale marque la naissance de la nation et qu’à cette occasion il convient de célébrer ce qui unit plutôt que ce qui divise et surtout que la lecture qu’on fait de l’histoire à ce moment-là marque les esprits.
Samuel Dossou-Aworet «étranger» ? Maintenant que le président de la République l’a dit, qui oserait en douter ? Quid alors de sa nationalité gabonaise ? Quid alors des actes qu’il a pu poser au nom du Gabon ? Et pourquoi les personnalités dénoncées à longueur de journée sous la dénomination de «légion étrangère» seraient plus légitimes que Samuel Dossou-Aworet ? Pourraient-elles, elles aussi, se réveiller un matin et apprendre qu’elles sont étrangères au Gabon ? Au nom de quoi l’opinion ne devrait pas s’inquiéter de leur présence ? Sans vraiment le vouloir, Ali Bongo a posé le débat sur la nationalité. Notion biologique ou culturelle, juridique ou ethnique ? Et qu’en est-il de l’intégration à la gabonaise ? Assimilation ou communautarisme ? Tant que ce débat de fond sera escamoté, la confusion et le mélange des genres rendront possible l’irruption des passions et la montée du nationalisme….