Chassé depuis toujours pour sa viande réputée savoureuse, le pangolin du Gabon voit aujourd’hui sa survie menacée par un trafic plus vaste à destination de l’Asie, où il est utilisé dans la médecine traditionnelle.
Au Gabon, "les gens chassent le pangolin comme d’autres viandes, car la forêt est souvent la seule ressource" alimentaire pour les habitants de l’intérieur du pays, couvert à 80% de forêt, explique le directeur général de l’ONG Wildlife Conservation Society (WCS) au Gabon, Gaspard Abitsi.
Nocturne et craintif, le petit mammifère est difficile à observer à l’état naturel. Mais on le trouve généralement sans problème sur les marchés de la capitale, Libreville : en morceaux ou entier, au milieu de crocodiles, porcs-épics, gazelles et autres viandes de brousse dont les Gabonais sont friands.
"Nous avons une grosse demande. Les gens adorent les pangolins. Ca ne traine pas sur le marché. Ma voisine en a acheté quatre hier et ce matin ça a été vite vendu", se réjouit une opulente commerçante du marché Mont-Bouët, assise devant un étal jonché d’animaux éviscérés.
On repère vite le drôle d’animal: avec son corps allongé, son museau conique, son interminable langue pour aspirer les insectes dont il se nourrit, il fait penser à un fourmilier. Quant à ses grosses écailles reptiliennes, elles rappellent plutôt la période préhistorique, ou encore un artichaut.
Au Gabon, les ONG environnementales tentent de sensibiliser les villages à la nécessité de protéger cette espèce. Ainsi, le parc national des Monts de Cristal (nord) a désormais pour emblème un pangolin géant.
Intégralement protégé, c’est le spécimen le plus prisé, qui pèse jusqu’à 35 kg, et coûte entre 100.000 et 130.000 FCFA (150 à 200 euros) - contre 15.000 FCFA (22 eurs) pour le "petit pangolin", l’autre espèce vivant au Gabon, avec des quotas de chasse autorisés.
- Au bouillon -
Au restaurant de spécialités locales "Africa", à Libreville, le pangolin est une des stars du menu.
"C’est cher, mais c’est une des meilleures viandes", assure Didine, la patronne. "On le cuisine au bouillon, il faut faire cuire la viande longtemps sinon c’est trop dur!", sourit-elle en remuant le contenu d’une grosse marmite fumante.
Mais depuis quelque temps, "on sent une demande de plus en plus forte liée au trafic international", affirme Rostan Nteme Mba, de l’Agence nationale de parcs nationaux (ANPN). "Ce sont les écailles qui intéresse les trafiquants", souligne-t-il.
En médecine traditionnelle chinoise, elles sont utilisées comme aphrodisiaque, en cure de jouvence, ou encore pour soigner certaines affections comme le psoriasis.
Avec de telles vertus supposées, la demande a explosé en Asie, si bien que le pangolin est le mammifère au monde le plus touché par le commerce illégal: plus d’un million d’animaux ont ainsi été capturés depuis 10 ans, selon le groupe spécialisé sur le pangolin à la Société de zoologie de Londres.
Difficile de connaître exactement l’ampleur de ce braconnage dans un pays comme le Gabon, où il n’existe pas encore de statistiques sur le pangolin.
Mais en se basant sur les saisies de viandes de brousse opérées par les douanes et les Eaux et forêts, "on remarque qu’il y a de plus en plus de pangolins" alors que leur proportion était encore marginale il y a quelques années, observe M. Abitsi, le directeur du WCS.
Le constat est surtout frappant dans le nord du pays, notamment dans le parc national de Minkebe, le plus vaste des 13 parcs gabonais, frontalier du Cameroun et du Congo.
"Il y a probablement des filières africaines" qui permettent de faire transiter les marchandises vers les ports ou aéroports pour les acheminer vers l’Asie, souligne M. Nteme Mba.
Facteur aggravant: l’implantation des entreprises chinoises - qui comptent parmi les principaux partenaires économiques du Gabon - dans l’intérieur du pays.
"Avec l’exploitation forestière, la construction de nouvelles routes, ils ont accès à la ressource. Quand les containers repartent vers l’Asie, on ne sait pas s’il n’y a que du bois dedans...", relève Gaspard Abitsi.
Une équipe de chiens spécialement dressés pour détecter les espèces intégralement protégés comme le pangolin géant, a été mise en place par l’ANPN.
Opérationnelle depuis le début de l’année, l’Unité canine d’appui à la conservation a déjà permis de procéder à plusieurs saisies mineures à l’aéroport de Libreville. "Un premier pas important pour protéger le pangolin", assure Rostan Nteme Mba.