Premier ministre du gouvernement formé par André Mba en 2011, le Dr Raphaël Bandega Lendoye est l’auteur du libre propos ci-après. Intitulé «La photo et son cadre», le texte de ce professeur à l’Université Omar Bongo pose un regard rétrospectif, un tantinet philosophique, sur l’évolution de l’état de santé de Mba Obame depuis 2009 et surtout sur l’interprétation qu’en ont pratiqué ses adversaires politiques.
Il y a quelques semaines, l’actualité gabonaise s’est focalisée sur une photo d’André Mba Obame (AMO). Rompant la réclusion qu’il s’était imposée après sa réapparition à la Cathédrale Sainte-Marie, celui qui se considère comme le «président légitime» et que ses partisans nomment «président élu», figurait sur une photo où il était à peine reconnaissable. Quelques jours plus tard, d’autres images de lui furent publiées sur le Net. Les commentaires sont allés bon train.
Mike Jocktane a expliqué que l’état physique actuel de ce dernier est la conséquence d’un empoisonnement. Le prélat dont la proximité avec le secrétaire exécutif de l’Union Nationale est de notoriété publique est même allé plus loin : affirmant que lui-même a été victime d’empoisonnement, il indiquait que les auteurs et commanditaires de ces actes étaient à rechercher dans les allées du pouvoir en place. Ce propos avait suscité la dénégation du porte-parole de la présidence de la République sans que l’on sache s’il parlait pour lui-même ou pour celui dont il est supposé être le relai.
On a noté que le contenu de la dénégation se fondait notamment sur le fait que «Mike Jocktane n’est pas (…) un adversaire politique». Après des moments de trouble, cette curieuse ligne de défense oblige à convoquer la mémoire récente de notre pays pour rechercher les raisons de l’état actuel de santé de celui qui revendique la victoire à l’élection présidentielle du 30 août 2009. Il s’agit de remettre à l’esprit de chacun les éléments du drame dont André Mba Obame est la victime.
En effet, AMO était en bonne santé lorsqu’il se décida à se soumettre aux suffrages de ses concitoyens. Le fait doit être tenu pour vrai puisqu’un certificat médical lui fut délivré pour la circonstance. Tout le monde l’a vu en pleine santé tout au long de cette campagne d’août 2009, pendant et après sa prestation de serment du 25 janvier 2011. Ce n’est qu’après les chaudes journées qui suivirent qu’il commença à se plaindre de maux qui, après consultation médicale, ont révélé une affection nécessitant une intervention chirurgicale à l’étranger.
On se souvient aussi des doutes et railleries que la révélation de ce mal suscita de la part des tenants du pouvoir établi. Certains y voyaient un subterfuge concocté pour se soustraire à la machine répressive qui cherche à l’emmurer. D’autres allaient jusqu’à remettre en cause sa santé mentale. Pendant de longues semaines, alors que son déplacement sanitaire relevait désormais de l’urgence, les autorités établies s’entêtaient à lui envoyer des convocations à comparaitre. Ces atermoiements et manœuvres politiciennes d’un autre âge n’ont-ils pas fait perdre un temps très précieux qui aurait pu faciliter le traitement du mal qui l’attaquait ? Doit-on rappeler que sur ces entrefaites, interrogé à ce sujet, Ali Bongo évoqua, pour la première fois, une tentative d’empoisonnement ? Doit-on souligner qu’Ali Bongo émit des hypothèses, allant jusqu’à indexer son entourage immédiat et singulièrement ceux qu’il nomme «ces nouveaux amis avec qui il mange maintenant» ? Doit-on préciser qu’Ali Bongo s’exprimait depuis Koulamoutou au terme d’une session du Conseil des ministres, instant solennel et républicain s’il s’en trouve ? Doit-on noter que toutes ces «révélations» furent faites dans l’indifférence voire l’approbation de la majorité actuelle ? Comment et pourquoi Ali Bongo pouvait-il le savoir et s’exprimer avec tant d’assurance ?
On doit se souvenir aussi que, dans des conversations privées mais notables, de nombreux tenants du pouvoir usurpé ne cachaient pas leur souhait de le maintenir au Gabon pour qu’il puisse mourir et voir disparaitre ainsi les secrets dont son long bail avec le pouvoir l’a rendu dépositaire.
Les tenants du subterfuge ont pourtant vu, après qu’il ait pu arracher sa sortie du territoire pour raison médicale, qu’il était sur chaise roulante et marqué par la maladie. Après son long séjour à l’étranger, où des hommes ont été expressément envoyés pour s’occuper de lui, il nous est pourtant revenu debout. S’il arborait des béquilles, ceux qui lui rendaient visite à son domicile le voyaient se déplacer sans assistance.
Cependant, brutalement et sans crier gare son état physique se détériora de nouveau. Là encore, c’est d’en face que les nouvelles aussi macabres que lugubres vinrent. Est-il besoin de rappeler les coups de fils donnés aux membres de l’Union Nationale (UN) pour s’enquérir, faussement préoccupé, des nouvelles d’AMO ? Faut-il rappeler les rumeurs de décès ? Faut-il relire certaines publications réputées proches de la présidence de la République ? Est-il besoin de rappeler les propos d’officiels qui donnaient diagnostic et moyens d’y pourvoir ? Comment expliquer le mutisme des différents gouvernements face à des rumeurs aussi instantes ? Et quel sens donner aux propos de l’ancien ministre de l’Intérieur, Jean-François Ndongou, qui alla jusqu’à évoquer, sur le mode de la raillerie, une éventuelle prise en charge par la CNAMGS ?
Ainsi, on voit bien que malgré les dénégations brouillonnes des émergents, l’image publiée a une histoire à laquelle ils ne sont pas totalement étrangers. D’ailleurs de leurs propos ne peut-on pas tirer que lorsque l’on est un adversaire politique l’empoisonnement est une des options qu’ils s’aménagent ? Si tel est le sens profond de leur pensée, ne doit-on pas convenir que ces méthodes sont d’un autre âge et qu’elles doivent être dénoncées et condamnées dans une société démocratique ? Ne doit-on pas les rejeter avec la dernière énergie ?
Ce que cette photo révèle d’AMO c’est que son corps a souffert d’une affection dont il ne résiste qu’au prix d’efforts et d’espérance dont la constance et le niveau forcent le respect. Nous croyons que sa foi et son amour de la vie sont les piliers principaux qui entretiennent son énergie et contribuent, avec les traitements qu’il reçoit, à le garder en vie. Il sait sur qui compter pour l’accompagner dans son épreuve puis attendre sa guérison et son rétablissement. Il est conscient du chemin qu’il accomplit pour lui-même et pour ceux qui ont vu en lui une nouvelle espérance dans notre pays. Que ceux qui lui veulent du mal et qui savent leur action sur son état nous épargnent de leurs larmes de crocodile et leur défense bâtarde.