Surpris en plein atelier au Forum citoyen sur l’emploi organisé par le «Collectif des organisations de la société civile pour le développement et la lutte contre la pauvreté», ce consultant en gestion des ressources naturelles, ancien directeur de la valorisation et de la communication à l’Agence nationale des parcs nationaux, a accepté de nous entretenir sur le lien entre la gouvernance foncière et le développement agricole.
Vous venez d’animer un atelier sur le développement de l’agriculture et la question foncière. Pouvez-vous nous faire l’économie de votre prestation ?
Ma communication portait sur le régime foncier et les mécanismes d’attribution des terres aux producteurs gabonais. Il faut simplement partir du principe que la terre est le premier capital pour tout exploitant agricole. Si les mécanismes d’attribution des terres ne sont pas clairs, il ne saurait y avoir d’agriculture. Or, de plus en plus, on observe une tendance qui se développe à travers le monde : de grandes compagnies transnationales, multinationales viennent en Afrique pour acquérir des grandes superficies au détriment des paysans et exploitants agricoles locaux. Ce phénomène qui est connu sous le nom d’accaparement des terres, induit souvent des phénomènes tels que des conflits fonciers, une pauvreté croissante dans les villages, la conversion d’écosystèmes forestiers en terres agricoles, une perte des droits d’accès aux ressources naturelles et un détournement des ressources en eau. Il s’agit ici de voir comment notre régime foncier peut permettre de lutter contre ce phénomène d’accaparement des terres tout en favorisant le maintien du paysannat et le développement de la petite agriculture.
Le Gabon est, ou a-t-il déjà été victime de ce phénomène d’accaparement des terres ? Si oui pouvez-vous nous citer quelques acteurs qui se livrent à cela ?
Récemment une multinationale bien connue a été accusée de faire dans l’accaparement des terres au Gabon. Si la trop forte politisation de ce dossier a pollué le débat y relatif, on peut constater que les conditions d’installation de cette multinationale n’étaient pas toujours transparentes. A ce jour, les conventions qui la lient à l’État gabonais n’ont jamais été rendues publiques. Dans certains cas, l’Etat a attribué des portions du territoire qui étaient mises en défends ou qui sont censées relever du domaine forestier permanent de l’Etat. Contrairement aux autres pays africains où le phénomène d’accaparement des terres a été observé, au Gabon il s’est moins agi de l’impact de la répartition des terres sur l’économie politique et les droits aux ressources, actuels et à venir, des populations locales que despratiques abusives qui ont eu cours lors du processus d’attribution des terres. Trop souvent, l’Etat a failli à sa mission qui est, entre autres, de faire respecter la loi.
Qu’entend-on par domaine forestier permanent de l’État ?
Dans la plupart des pays du Bassin du Congo, les lois forestières découpent le domaine forestier national en un domaine forestier permanent de l’État et un domaine forestier rural. Le domaine forestier permanent de l’État, aux termes de la loi gabonaise, est constitué des forêts domaniales productives enregistrées (forêts de production ou les concessions forestières) et des aires protégées. Le domaine forestier rural ce sont les terres qui sont laissées à la jouissance des populations. En clair, le domaine forestier permanent de l’État vise à maintenir de grandes superficies de terre sous couvert végétal, alors que le domaine forestier rural, lui, est destiné à accueillir les activités anthropiques dont les activités agricoles.
Pour le développement de l’agriculture, l’État n’a-t-il pas déjà entrepris une réforme des lois foncières?
Non. Le régime foncier du Gabon date des années après-indépendance. Les principales lois qui régissent l’attribution des terres au Gabon datent de 1963. Nous avons la loi 14/63 et 15/63. C’est vrai qu’on a parlé de révision de ces lois, mais les modifications qui ont été apportées étaient à la marge. Les principes restent les mêmes. On est toujours sous le principe de domanialité intégrale. On ne reconnaît toujours pas les droits fonciers légitimes des populations. Le régime de l’immatriculation est toujours en vigueur. Autrement dit, c’est toujours l’administration qui crée la propriété au lieu de la constater. Héritée du système Torrens, notre régime foncier traduit une vision colonialiste. Telle que pratiquée chez nous, l’immatriculation des terres n’existe pas en France et dans la plupart des pays occidentaux. Là-bas, la propriété est constatéepar des actes notariaux ou enregistrée dans un livre foncier.
Les questions afférentes au régime foncier gabonais ont toujours constitué un domaine de réflexion pour le développement agricole sans pour autant que les débats aboutissent à une vision claire. Au regard de cette situation peut-on s’attendre au sortir de ce forum à une prise de conscience effective de la question foncière par les autorités ?
Il me semble que les organisateurs de ce forum ont l’ambition, au terme de cette rencontre et sur la base de ses conclusions, d’engager une vaste campagne de plaidoyer et de lobbying pour essayer de faire évoluer les choses, notamment s’agissant des conditions d’attribution des terres aux exploitants agricoles au Gabon. Toutefois, la vraie question qu’on peut se poser est celle de savoir : est-ce que l’agriculture figure au nombre des priorités de l’État gabonais ? Quels que soient les choix qui aient pu être faits dans le passé, que ce soit le choix des agro-industries, ou celui du soutien au paysannat, comme on a pu le voir durant les 20 dernières années du siècle précédent, il me semble qu’ils ont été faits simplement parce qu’il fallait se doter d’une forme d’agriculture. Parfois, ils ont été faits de manière opportuniste, en opportunité. Il ne me semble pas que ces choix-là répondaient à une vision claire du développement du pays. On a tout à fait le droit d’estimer que le Gabon n’est pas un pays à vocation agricole. Mais dans ce cas, il faut le dire clairement, l’assumer, dire comment on va garantir la sécurité alimentaire des Gabonais et se donner les moyens d’y parvenir. Jusque-là, nos politiques agricoles relèvent du saupoudrage ou de la volonté de se donner bonne conscience. Il faut en finir avec ça et clarifier les choses.