Guilou Bitsutsu Gielessen, Secrétaire exécutif de l’Union républicaine pour la démocratie et le progrès (URDP), parti d’opposition jusqu’ici membre de l’Union des forces pour l’alternance (UFA), a fait parvenir à Gabonreview le libre propos ci-après. Il y donne son avis sur la reconfiguration en cours de l’échiquier politique gabonais, à travers lequel le peuple semble ne pas être pris en compte.
En 2012, après des affrontements entre la police et des militants de l’opposition en plein Libreville, Ali Bongo, affirmait, lors de son traditionnel discours à la veille de la commémoration du 17 août, qu’il ne laisserait pas «la chienlit s’installer au Gabon».
Les démissions de Jean Ping et de Jacques Adiahénot du parti au pouvoir, ont pris de cours non seulement le pouvoir mais la majorité des Gabonais.
Un pouvoir qui gouverne seul sans ses élus, sans sa majorité, sans ses alliés, provoque forcément des frustrations et des mécontents. On est en même de se demander pourquoi les démissions ne se font pas en cascade? En effet, à l’instar de Ping et de Jacques Adiahenot, nombreux sont ceux d’entre eux dans le parti au pouvoir, qui ne se reconnaissent plus dans la direction que prend le pays ou dans les choix de leur distingué-camarade président.
Toutefois, on pourrait légitimement se demander, pourquoi Ping et Adiahénot ont-ils choisi la voie de la rupture avec le parti avec lequel ils ont milité toute leur vie politique? Pourquoi n’ont-ils pas choisi le risque de la confrontation à l’intérieur du parti? Pourquoi n’avoir pas essayé de le fissurer, de l’éclater, ou de le fragiliser en portant, en son sein, la contestation du régime d’Ali Bongo? De créer des courants, des dissidences afin de combattre la mainmise de la pensée unique?
Surement toutes ces questions auront trouvé une réponse dans un pays démocratique. En démocratie, le débat contradictoire aurait en effet, pu se créer entre acteurs aux intérêts divergents.
L’explication trouvée, on peut s’avancer en disant que Jean Ping et Jacques Adiahenot et les autres avant eux n’avaient pas d’autres choix qu’à se jeter, armes et bagages et avec une facilité déconcertante, dans les rangs d’une opposition fragile et instable. Cette même opposition fragile et instable permet sans transpirer à Jean Ping de transformer le courant des «souverainistes» en cheval de Troie et de lancer une «OPA» amicale sur toute l’opposition. Chapeau ! Du grand art…
Jean Ping se présente désormais, comme le candidat naturel de l’opposition à la présidentielle de 2016. Sa stature internationale, son expérience, ses liens étroits avec les «anciens» du régime d’Omar Bongo, ses entrées dans la France-Afrique ont joué en sa faveur. Cette «dynamique Ping» donne droit à une redistribution à la va-vite, des cartes dans les rangs des états-majors politiques. En effet, le temps joue contre Ping, mais aussi contre l’opposition, contre la majorité et contre Ali Bongo.
Pour Jean Ping, nouveau venu, il lui faut d’abord constituer une base politique (c’est fait avec le front uni), faire table rase des exigences de l’UFA (Union des forces pour l’Alternance) dont une majorité des partis politiques ont déjà signé pour le Front. Pour les autres, de petites mises au point sont nécessaires.
En effet, la dynamique actuelle, a cet inconvénient qu’elle ne permet pas d’avoir une bonne lecture des objectifs et des intentions des uns et des autres. Si tout le monde est d’accord pour battre Ali Bongo en 2016, tout le monde n’est pas d’accord sur les moyens et les hommes… Ensuite, il devra se «faire connaître» auprès des populations du Gabon et du Gabon profond. Pour finir, lui et le front devront faire face au pouvoir pour modifier la constitution, notamment l’article sur le mandat présidentiel et surtout, surtout, mettre à plat l’organisation du scrutin électoral… Vaste programme à deux ans de la présidentielle.
Pour Ali Bongo il lui faut en deux ans renverser la tendance, au moment où l’on observe les dernières bulles produites à la surface de l’eau par le naufrage idéologique du PSGE (Plan Stratégique Gabon Émergent). Aussi, le contexte désastreux créé par la politique d’Émergence a fini par convaincre tout le monde que le Gabon a perdu sa boussole et navigue à vue. Il aura fallu, pour en arriver là, que le pays connaisse une descente aux enfers, due à la fois, à une baisse sans précédent des liquidités du trésor public et à une explosion de la pauvreté. A cette débâcle, s’ajoute la crise économique et l’omniprésence des discours de promesses et la montée des haines et des exclusions sociales en tous genres… Vaste programme aussi, à deux ans de la présidentielle. Tous deux, Ali Bongo et Jean Ping, ont un lourd fardeau par conséquent je laisse à chacun le soin des pronostics. Le peuple assommé par son quotidien observe les manœuvres politiques
Dans ce contexte, nous apprenons par un audit que 400 milliards de Fcfa ont été siphonnés du trésor public. Rien que ça?? Et peu avant, après une étude sur la pauvreté, le Gouvernement nous annonçait que 30% des Gabonais sont en situation de grande pauvreté. Ah bon ?
Déjà en 2012, Vincent Lebondo Le-Mali, à la tête de la Commission nationale sur l’enrichissement illicite, proclamait le bouclage de 92 dossiers d’enrichissement illicite dont une dizaine n’attendait que la mise en place de la juridiction compétente. Dans un pays où la gabegie et la corruption sont ancrées dans le paysage depuis 47 ans, il est peu probable que ces dossiers prospèrent en justice. Dans notre Gabon là, tout tombe et tout se fracasse, on pourrait facilement se laisser hypnotiser par l’accumulation de mauvaises nouvelles et face à une actualité décourageante. Le peuple Gabonais ne sait où mettre la tête, le changement est perçu comme une fascination.
Pour la majorité d’entre eux, la dynamique politique actuelle dans l’opposition, manque de grille de lecture. Le choc des images : voir tout d’un coup se coltiner un aréopage de personnalités qui la vieille était dans des camps diamétralement opposés est simplement déroutante. Le peuple a besoin d’un peu de temps pour bien comprendre ce qui se trame…
Les citoyens sont conscients qu’ils sont juste utilisés dans une dérive «d’injonction participative», juste bon à s’inscrire sur les listes électorales. Cette demande unilatérale et méprisante faite aux «pauvres Gabonais» de se comporter en citoyens, sans leur donner la possibilité de débattre sur le fonctionnement des institutions, sur les problèmes sociaux, économiques et urbains a fait son temps… Les désaffections des populations vis à vis de «ses politiques» partent de ces vieux clichés.
Sans se trouver une voie, le peuple Gabonais cherche à se libérer de la mainmise des acteurs politiques sur son destin. Il est dans une recherche obstinée à imaginer des solutions aux catastrophes sociales qu’il subit à fin d’ébaucher les contours d’une justice sociale. Ainsi, l’ardeur face à la situation permet à chacun de nouer des solidarités pour imaginer d’autres modes de vie qui éloignent du désespoir. Le résultat de cet effort est bien maigre…
De toutes façons, pour y arriver il faudra d’abord s’affranchir de l’hypercritique sociale et politique ; de cesser d’évaluer les forces en présence et leurs chances respectives de l’emporter ; d’abandonner les prédictions sinistres pour se jeter résolument dans le combat pour un Gabon meilleur. Sous des vents contraires l’engagement résolu aux changements est aujourd’hui une épreuve de vérité.