"Eliminer le gaspillage", "sortir de l'économie de rente", "changer de paradigme" sont des phrases à la mode dans les ministères du Gabon, pays riche en pétrole mais fortement endetté et peu développé.
"Aujourd'hui nous n'avons d'autre choix que de faire d'autres choix", assénait ainsi le ministre de l'Economie Mark Alexandre Doumba lors d'un récent séminaire sur "le financement du développement post-transition" organisé à Libreville.
Entre besoin d'argent pour investir et difficulté d'assumer la dette existante, l'équation est compliquée pour ce pays d'Afrique centrale en transition politique depuis le putsch d'août 2023 contre la dynastie Bongo, après des décennies marquées par ce que le ministre du Budget Charles Mba a qualifié d'"évaporation financière".
"De 2010 à 2023, nous avons disposé de 18.000 milliards de FCFA de budget d'investissement (27 milliards d'euros) et nous n'avons rien fait puisque on ne voit pas de routes, pas d'hôpitaux, pas d'écoles, pas d'université", a-t-il dit à la télévision publique.
L'administration est aussi inefficace que pléthorique, le déficit d'infrastructures criant: il existe une "direction des autoroutes" mais pas d'autoroute. Malgré les plans successifs, seuls 2.000 des 10.000 km de routes sont "praticables", selon les données officielles.
Les déraillements sont fréquents sur l'unique voie ferrée qui relie d'est en ouest les régions minières à la capitale Libreville et au port d'Owendo, du fait de l'état dégradé des rails posés dans les années 1970 à travers la forêt équatoriale.
Le réseau électrique, géré par la société publique SEEG, connaît des défaillances régulières qui nourrissent le mécontentement populaire. "Aucun investissement structurant n'a été fait ces vingt derniers années" alors que les besoins en consommation énergétique ont pratiquement doublé entre 2010 et 2024, selon l'administrateur provisoire de la SEEG, Steve Saurel Legnongo.
"Les choses se sont dégradées au fur et à mesure, aujourd'hui il y a un grand effort pour tourner une page... sauf qu'on ne peut pas changer les choses du jour au lendemain", estime Savina Ammassari, la coordinatrice résidente des Nations Unies à Libreville, grande architecte du séminaire.
- Endettement accru -
Aujourd'hui encore, les grands chantiers financés sous l'impulsion du nouvel homme fort du pays, le général Brice Clotaire Oligui, avec une politique assumée d'endettement accru, peinent parfois à se matérialiser.
"L'absence de suivi sur les politiques de développement nous a fait perdre beaucoup d'efficacité", a reconnu le vice-premier ministre chargé de la planification, Alexandre Barro Chambrier, lors du séminaire organisé mi-mars.
Il fut un temps où tout semblait simple. "Nous avions tout ce qu'il fallait pour réussir, pétrole, manganèse, uranium. (...) Nous avons pensé que nous n'avions rien à faire puisque tout nous tombait du ciel", dit le ministre de l'Industrie, Lubin Ntoutoume.
Alors que l'exploitation du pétrole, pilier de l'économie, génère des milliards de bénéfices annuels depuis les premiers forages des années 50, la dette n'a cessé de se creuser: 72,1% du PIB en 2023, 73,3% en 2024, projection à 80% pour 2025. Et l'effondrement des cours pétroliers, cette semaine, en lien avec l'offensive douanière de Donald Trump ne va pas simplifier les choses.
Il faut dans le même temps anticiper l'épuisement annoncé des ressources pétrolières. La production gabonaise a baissé de moitié en trente ans, passant de 500.000 barils de pétrole par jour au pic de 1996, à 250.000 barils/jour en 2025, selon le FMI.
Sur la même période, la population a plus que doublé, de 1,11 à 2,3 millions d'habitants. En cinquante ans, le revenu moyen par habitant a baissé de moitié. Plus du tiers des Gabonais vit sous le seuil de pauvreté, et un sur dix souffre d'insuffisance alimentaire. Le taux de chômage des jeunes tourne autour de 40% -plus de 60% en milieu rural, selon les données officielles.
Candidat à un mandat présidentiel de sept ans, le général Oligui promet pour sa part "l"essor vers la félicité" à chaque visite sur le terrain.
"Un pays pétrolier ne meurt pas de faim... N'ayez pas peur! Ne croyez pas ceux qui vous disent que le pays va mal", a-t-il dit lors d'une visite à Donguila (ouest), en assurant qu'il convaincrait sans dificulté banquiers privés et bailleurs internationaux de soutenir ses plans de "bâtisseur".
Les financiers internationaux, eux, préconisent plutôt de diminuer les dépenses publiques, de réévaluer l'assiette fiscale et de valoriser les crédits carbone de ce pays qualifié par la Banque mondiale de "pionnier en matière d'écologie" et de "champion des initiatives de neutralité carbone".