Des habitants du quartier PK13 à Ntoum vivent, depuis deux ans, dans l’angoisse d’une pollution aux hydrocarbures qui menacerait leur santé et leur environnement. Ils pointent du doigt la station-service PetroGabon, ouverte en juin 2022, comme source probable de cette contamination. Face à ces accusations, l’entreprise nie fermement toute responsabilité, s’appuyant sur des contrôles quotidiens de ses installations qui n’auraient révélé aucune fuite. Entre un rapport d’enquête supposé accablant et des zones d’ombre persistantes, l’affaire soulève des questions cruciales sur la cohabitation entre activités pétrolières et zones résidentielles au Gabon.
Une controverse environnementale secoue le 3e arrondissement de Ntoum depuis plus de deux ans, mettant en cause la station-service PetroGabon du quartier PK13. Portant sur la problématique des risques environnementaux liés aux activités pétrolières en zone urbaine, l’affaire a pris une nouvelle dimension avec la publication d’un rapport d’investigation jugé accablant par les riverains impactés et plaignants.
Chronologie d’une pollution contestée
C’est en septembre 2022, trois mois après l’ouverture de la station-service PetroGabon sur la Nationale 1, que les premiers signes de pollution se sont manifestés. Les résidents, d’abord alertés par de fortes odeurs de carburant, ont rapidement constaté des traces d’hydrocarbures dans leurs domiciles et sur leurs terrains. Plus alarmant, selon leurs témoignages, des marques d’huile sont apparues sur le sol et dans un cours d’eau local, tandis que les fontaines d’eau à usage domestique subissaient des changements de couleur inquiétants.
Face à ces allégations, une commission d’enquête a été constituée, réunissant des représentants de PetroGabon, de la Direction générale de l’Environnement et de la Protection de la nature (DGEPN), de la Direction générale des Hydrocarbures (DGH), de la Direction générale des Études et Laboratoires (DGEL), ainsi que des membres du collectif des habitants.
Les conclusions préliminaires de cette commission semblaient confirmer les pires craintes des habitants. Le rapport faisait état d’une «présence continue d’hydrocarbures à 17 mètres de profondeur sous la station-service dans le forage installé». Les analyses des boues, des eaux et du sol ont corroboré ces observations, jetant une ombre sur les activités de PetroGabon.
L’entreprise indexée n’avait cependant pas acquiescé de son implication, ne comprenant certaines allégations dudit rapport. Explicitant sa lecture de la situation lors d’une conférence de presse en mai 2024, Jean-Baptiste Bikalou, PDG de PetroGabon, avait donc déclaré : «nous, au niveau de PetroGabon, nous affirmons que pour que PetroGabon soit impliquée, il faut qu’il y ait une perte de produit. Or, de par nos installations, de par les contrôles que nous faisons au quotidien, nous n’avons pas une perte de produit au niveau de PetroGabon donc nous ne sommes pas impliqués dans la pollution.»
Un nouveau rapport qui relance le débat et des zones d’ombre persistantes
Malgré ces dénégations, une nouvelle une mission d’investigation, diligentée et commandée par le délégué spécial de la commune de Ntoum, a été menée du 27 mai au 9 juin 2024 par la Direction générale de l’Environnement et de la Protection de la nature (DGEPN), de la Direction générale des Hydrocarbures (DGH), et la Direction générale des Études et Laboratoires du ministère du Pétrole
Mais, le rapport partiel de la Direction Générale des Etudes et Laboratoires (les autres Administrations – membres de la Commission – n’ayant pas encore rendu publique leurs conclusions) semble encore pointer du doigt la station-service PetroGabon. Selon ce document, dont GabonReview a obtenu une copie exclusive, «la source d’émission des hydrocarbures proviendrait de la Station-service Petro Gabon PK 13».
Cette hypothèse s’appuie sur des analyses détaillées et des observations in situ. Sur 24 échantillons d’eau prélevés, 10 ont révélé des teneurs en hydrocarbures supérieures aux normes. Quant aux échantillons de sol, 4 sur 36 ont montré des teneurs en hydrocarbures totaux au-dessus des seuils réglementaires.
L’affaire est cependant loin d’être close. Car, des tests de pression réalisés – par cette même commission – du 18 au 22 juillet 2024, en présence de diverses autorités, ont confirmé la conformité des cuves et des tuyauteries de la station-service, jetant le doute sur l’origine supposée de la pollution par une défaillance des équipements de la station-service
Plus troublant encore, l’enquête a porté au jour un acte de pollution «volontaire», pendant la période d’investigation. Les caméras de surveillance de la station-service ont capturé des images d’un agent déposant délibérément des boues souillées, issues des regards de la zone de livraison de carburant, dans l’espace vert de de la station. S’agit-il d’un acte isolé de négligence ou d’une tentative de sabotage visant à incriminer PetroGabon, s’interroge-t-on.
Par ailleurs, ainsi que s’interrogent bien de personnes de la zone s’intéressant à l’affaire, si la nappe phréatique est effectivement contaminée comme le suggère le rapport, comment expliquer que seules trois concessions, éloignées du voisinage immédiat de la station-service, soient affectées ? Qu’en est-il des autres habitations du voisinage ?
Un silence assourdissant et des implications nationales
Face à cette situation complexe, les habitants exigent des réponses et des actions concrètes. Leurs demandes sont claires : la cessation immédiate de la pollution, une indemnisation conforme aux normes de réparation des sinistres, et le financement par PetroGabon des branchements au réseau d’adduction d’eau de la SEEG pour les foyers touchés.
Pourtant, trois mois après la publication du rapport, un silence pesant règne. PetroGabon, bien qu’informé des résultats, reste sur sa position, confortée par ses interrogations sur le nombre de parcelles touchées en dehors d’autres et sur le rapport de la vidéo-surveillance. Plus inquiétant encore, les administrations impliquées dans l’enquête semblent avoir disparu dans la nature, laissant les résidents dans l’expectative et l’inquiétude.
Alors que le débat fait rage et que les interrogations s’accumulent, une chose est certaine : seule une enquête approfondie, transparente et impartiale pourra faire toute la lumière sur cette mystérieuse pollution du PK13. En attendant, les habitants restent sur le qui-vive, pris entre l’angoisse d’une contamination persistante et l’espoir d’une résolution rapide de cette crise qui empoisonne leur quotidien depuis trop longtemps.
L’affaire du PK13 met en exergue la confrontation entre les légendes urbaines et les défis de la cohabitation entre infrastructures pétrolières et zones résidentielles, l’efficacité des mécanismes de contrôle environnemental, et la responsabilité des entreprises face aux dommages écologiques. Elle met également à l’épreuve la capacité du pays à concilier développement économique et protection de l’environnement. Reste à savoir si les autorités seront à la hauteur de ce défi crucial pour l’avenir du pays.