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«Awu m’awu» : Démissionner ou servir, le dilemme cornélien de Bilie-By-Nze
Publié le jeudi 26 septembre 2024  |  Gabon Review
Alain-Claude
© Gabon Review par DR
Alain-Claude Billie-By-Nzé, le 19 août à Libreville.
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La démission, un acte politique à l’épreuve de la loyauté. Récurremment posée ces derniers jours depuis la sortie de son ouvrage controversé «Awu m’awu : Oser l’espérance pour un autre Gabon», Alain-Claude Bilie-By-Nze a pourtant lui-même répondu à la question relative à sa décision de ne pas avoir démissionné malgré les dérives qu’il dénonce aujourd’hui. Sa réponse ravive le débat sur la notion de loyauté politique dans un pays où la démission ministérielle relève de l’exception. Entre devoir de fidélité et responsabilité morale, l’ancien chef du gouvernement offre un témoignage qui interroge la capacité des acteurs gouvernementaux à impulser un véritable changement de l’intérieur

Dans le relatif tumulte politique qui secoue le Gabon post-Bongo, la publication de «Awu m’awu : Oser l’espérance pour un autre Gabon» d’Alain-Claude Bilie-By-Nze a entrainé une question récurrente : pourquoi l’ancien Premier ministre n’a-t-il pas démissionné face aux dérives qu’il dénonce aujourd’hui ? Loin d’être anodine, cette interrogation fait ressortir les complexités du système politique gabonais et la notion omniprésente de loyauté.

«Tu aurais dû démissionner»…

Objectivement et historiquement, la rareté des démissions politiques au Gabon n’est pas le fruit du hasard. Elle s’enracine dans une culture politique façonnée par des décennies de règne Bongo, où la fidélité au chef de l’État prime sur toute autre considération. Cette loyauté, d’abord tacite, a été formalisée sous Ali Bongo par l’introduction dans la Constitution d’une prestation de serment des membres du gouvernement, incluant explicitement «le strict respect de ses obligations de loyauté à l’égard du Chef de l’État».

Dans ce contexte et s’attendant sans doute à cette question, Bilie-By-Nze l’aborde dans «Awu m’awu : Oser l’espérance pour un autre Gabon». L’ancien porte-parole de la Présidence de la République écrit à ce sujet : «On m’a souvent dit, alors que j’étais encore le porte-parole de la Présidence : ‘’Tu aurais dû démissionner’’». Et d’offrir une justification nuancée de sa non-démission. «Ma conception de l’exercice du pouvoir […] n’est pas d’abandonner sa tâche lorsque l’on bute sur des difficultés, mais de persévérer, de chercher à les contourner pour poursuivre l’action», écrit-il. Simple défense personnelle peut-être, mais cette position reflète une réalité systémique où la démission est perçue comme une abdication plutôt qu’un acte de protestation.

Dans son ouvrage, l’ancien Premier ministre va plus loin en remettant en question l’efficacité même de l’acte de démission. Il cite l’exemple de Jean-Pierre Chevènement, ministre français sous Mitterrand, dont le départ du ministère de la Défense n’a pas empêché l’entrée en guerre de la France au Kosovo. Cette référence internationale souligne une réalité souvent dédaignée : la démission d’un ministre, aussi retentissante soit-elle, ne change pas nécessairement le cours des événements politiques majeurs.

Bourdes-Ogouliguende et Maganga Moussavou

Au Gabon, la démission de Jules Aristide Bourdes-Ogouliguende en 1993 reste une exception notable dans le paysage politique gabonais. Alors président de l’Assemblée nationale et constitutionnellement deuxième personnalité de l’État, Bourdes-Ogouliguende fit preuve d’un courage politique rare en quittant ses fonctions pour protester contre l’ingérence de l’exécutif dans les affaires du législatif. Cet acte, sans précédent dans l’histoire moderne du Gabon, illustre le dilemme auquel sont confrontés les hauts responsables politiques : choisir entre la loyauté institutionnelle et l’intégrité personnelle ; survivre ou crever. L’homme de courage a même été oublié et sorti de la mémoire vive collective, alors même que le CTRI célèbre, depuis sa prise du pouvoir, des personnalités gabonaises ayant marqué l’histoire du pays par leur engagement politique et leur esprit patriotique.

Le cas de Pierre-Claver Maganga Moussavou, souvent cité comme un rare exemple de démission politique au Gabon, est lui-même sujet à caution. Il se raconte, par ceux qui savent et se rappellent, que si Maganga Moussavou avait marqué son désaccord par rapport à certaines déviations relatives aux fameux «Accords de Paris» (octobre 1994), il avait en réalité été poussé, par Omar Bongo, à démissionner après une vive querelle avec Didjob Divungi Di Ndinge, vice-président de la République gabonaise de 1997 à 2009. Un exemple illustrant la complexité des jeux de pouvoir au sommet de l’État gabonais.

La révélation la plus troublante à ce sujet, dans le dernier livre de Bilie-By-Nze, concerne peut-être les limites du pouvoir présidentiel face à un cabinet omnipotent (Cf. ‘’Les saboteurs de la République’’). Sur bien de décisions, «l’arbitrage final était toujours celui d’Ali et il lui arriva d’arbitrer contre son directeur de cabinet. Mais, usurpation des usurpations, le cabinet, malgré l’arbitrage présidentiel qui lui était défavorable, reprenait vite le dessus.» Une assertion conduisant à une question fondamentale : dans un tel système, marqué par la prééminence des directeurs de cabinet, quelle aurait été l’efficacité réelle d’une démission ministérielle ?

Loyauté, responsabilité, efficacité de l’action politique

Le dilemme exposé par Bilie-By-Nze transcende le cas gabonais. Il interroge sur la stratégie la plus efficace face à un pouvoir autoritaire : la rupture spectaculaire ou la résistance interne. L’ancien Premier ministre a choisi la seconde voie, arguant : «Si j’avais été convaincu que ma démission aurait empêché les dérives du cabinet présidentiel, principale entrave à l’action du Président de la République et des autres institutions, je l’aurais fait.»

Si elle ne convaincra pas tous ses détracteurs, l’explication offre néanmoins un éclairage précieux sur les mécanismes internes du pouvoir gabonais. Elle met en exergue la difficulté, dans un système où la loyauté est érigée en vertu cardinale, de transformer une opposition interne en acte politique significatif.

En réalité, le débat sur la non-démission de Bilie-By-Nze dépasse largement le cas individuel. Il questionne les fondements mêmes du système politique gabonais et la capacité des acteurs politiques à y insuffler un véritable changement. Dans un pays où les Premiers ministres n’ont «jamais gouverné», dans un pays qui prétend aujourd’hui être en changement, une réflexion sur la loyauté, la responsabilité et l’efficacité de l’action politique s’avère plus que jamais nécessaire.
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