Depuis le début du mouvement de grève des agents de l’hôpital psychiatrique de Melen, le nombre de malades mentaux s’est visiblement accru à Libreville. Au grand dam des populations apeurées par la dangerosité de certains d’entre eux. «Histoire de la folie à l’âge de l’Emergence», dirait Michel Foucault.
Déjà pris d’assaut par de nombreux malades mentaux dont les autorités municipales, visiblement impuissantes, ne savent pas quoi faire, les rues de Libreville connaissent ces derniers jours une recrudescence du phénomène. A l’observation, il apparaît que notre capitale a enregistré, depuis le début du mois en cours, un accroissement du nombre de fous dont la plupart, dénudés, déambulent librement sur les places publiques. Mais, quelles sont donc les causes de cet état de fait ? Pourquoi la dangerosité potentielle de nombre de ces malades ne conduit pas les autorités à se saisir de cette question ?
Pour de nombreux observateurs, la grève au centre hospitalier psychiatrique de Melen peut être considérée comme un début de réponse. «J’étais à l’Hôpital (psychiatrique) de Melen, et au portail j’ai pu lire une affiche qui disait clairement : ‘’Cet hôpital a besoin de restructuration’’», explique un parent de malade, qui indique : «Le portail de l’établissement était à moitié ouvert. Il n’y avait aucun agent de sécurité : ce qui veut dire que les patients pouvaient librement sortir et converger vers les rues de Libreville». Pour ainsi dire, l’évasion des patients, potentiellement dangereux, n’est pas le fait des agents de l’hôpital mais plutôt de l’obsolescence de certains bâtiments.
Est-ce pour ces raisons que les agents ont décidé de faire grève ? En tout cas, depuis le 19 mai dernier, le personnel médical de cette structure hospitalière située dans la périphérie Est de Libreville a initié un mouvement d’humeur en vue d’une réorganisation et d’un redimensionnement de cette entité. Affirmant exercer sur la base de textes datant de 1982 et estimant que la santé mentale est l’un des parents pauvres du système de santé du pays, ils tiennent les autorités du ministère de la Santé pour les vrais responsables de la situation actuelle. Autrement dit, l’enlisement de cette grève n’est que le contrecoup du mutisme et de l’inaction de la hiérarchie. Du moins, selon le délégué de l’antenne du Syndicat national des personnels de santé (Synaps), qui déplore l’arrêt des soins pour certains patients en raison du manque de médicaments. Oyono Mbeng rappelle, par ailleurs, que «les mobiles de la grève sont, entre autres, les conditions de travail qui sont de plus en plus difficiles au sein de la structure». «L’hôpital, ajoute-il, est situé à 11 kilomètre de Libreville, et nous avons simplement demandé à l’Etat de nous fournir un bus de transport d’une capacité de 30 places, de nous fournir deux (2) ambulances appropriées.»
Une situation qui interpelle également le gouvernement sur l’absence de centres hospitaliers psychiatriques dans certaines provinces et villes du pays pourtant fortement peuplées. Déjà, on note qu’à Port-Gentil dans la province de l’Ogooué-Maritime, les populations réclament désormais la construction d’un asile ou d’une structure médicale adaptée aux soins des malades mentaux. Vu de près, ce n’est certainement pas pour demain.
L’attitude des pouvoirs publics face à ce phénomène social fait penser au philosophe Français Michel Foucault qui écrivait dans son «Histoire de la folie à l’âge classique» que le regard que l’on porte sur la folie dépend de la culture dans laquelle elle s’inscrit et que le fou n’a pas toujours été considéré comme un «malade mental». Sans doute est-ce le cas pour les dirigeants du Gabon.
En effet, sous l’émergence à la gabonaise, moins de 1% des dépenses du système de santé sont consacré à la santé mentale et les pouvoirs publics négligent, voire méprisent, les malades mentaux, au point que certaines situations aboutissent régulièrement à des drames. En octobre 2012, à la faveur de la journée internationale de la Santé mentale, le Dr Alexandre Okouni, directeur de l’hôpital psychiatrique de Melen, souhaitait «une synergie d’actions concertées entre les différents départements ministériels concernées par la santé mentale en vue d’une amélioration des conditions de travail des agents et de la prise en charge des malades». En réponse de quoi, le secrétaire général du ministère de la Santé d’alors avait annoncé qu’un village psychiatre sera construit à Libreville, tandis que des centres de santé mentale devaient être érigés dans toutes les régions sanitaires du pays. On en est resté là. «Histoire de la folie à l’âge de l’Emergence», dirait Michel Foucault.