lorsqu’on prend une dizaine de journaux locaux, anciens ou nouveaux, et qu’on discute de leur contenu avec des personnes objectives, un constat s’impose : il y a encore trop de cas de diffamation, de rumeurs sans fondement, d’informations sans source aucune, des propos injurieux et beaucoup d’autres critiques allant à l’encontre de ces médias, trop souvent passionnés et parfois «aux ordres».
Du coup, ce qui accroit le sentiment d’un manque de professionnalisme, c’est la surprise du lecteur de constater que dans ces journaux, il n’ y a jamais aucun article d’un citoyen usant de son droit de réponse, de rectification ou de réplique. Et puis, à supposer qu’il y en aurait un, ce serait un fait des plus rarissimes.
Tel est donc le paradoxe de la presse gabonaise. D’autant que nombreux sont les concitoyens faisant régulièrement le siège du CNC pour se plaindre des calomnies, diffamations et autres faits dégradants et humiliants qui portent atteinte à leur honneur et intégrité morale.
Comble de cynisme, depuis quelque temps, certains auteurs d’articles qui prennent leurs opinions pour des informations et qui, de ce fait, ne supportent pas la contradiction, commettent de petits papiers intitulés «Notre réplique» ou encore «La réplique de la rédaction», qui démolissent, systématiquement, les rares droits de réponse publiés et tournent en dérision leurs auteurs. Malmenés par «ces nouveaux chiens de garde», ces compatriotes privés de leur liberté d’expression pourtant garantie par la constitution sont contraints de se taire, ne sachant pas qu’ils ont le droit d’adresser aux directeurs de ces publications un nouveau droit de réponse et, le cas échéant, de poursuivre devant les tribunaux les journaux mis en cause.
Véritables actes d’intimidation, «ces répliques des rédactions» qui n’honorent pas la profession ne doivent pas se répandre ; car elles sont contraires à la loi, contraires aux règles universelles qui régissent le métier de journaliste. Elles sont d’autant plus illégales qu’en droit de la presse le droit de réplique appartient au seul lecteur auteur du droit de réponse.
La loi, heureusement, n’interdit pas aux journaux de répondre aux lecteurs qui réagissent pour ou contre leurs articles. Mais ce qu’aucune règle déontologique n’autorise et qui doit être dénoncé c’est le ton violent, arrogant et parfois même injurieux qui caractérise ces brefs commentaires satiriques dont le but inavoué est d’étouffer la liberté d’expression des lecteurs.
Un organe de presse responsable, celui qui doit des comptes au public et qui garde à l’esprit qu’il détient un immense pouvoir qui peut affecter la vie de millions de personnes, ne s’arroge pas le droit de museler son lectorat. Comme toutes les institutions puissantes, il doit être disposé à entendre les plaintes, à expliquer ses décisions à son public, à reconnaître ses erreurs.
C’est l’occasion de rappeler, avec force, que les droits de réponse, de rectification et de réplique émanent de la liberté d’expression ; cette dernière étant l’absence de contrainte exercée à l’encontre des individus à cause de leurs opinions. A cet égard, et pour bien montrer l’importance de cette liberté, le 10 décembre 1948 les 58 Etats membres de l’Assemblée générale de l’ONU en ont fait, très tôt, un des piliers de la déclaration universelle des droits de l’homme. L’article 19 de ladite déclaration stipule : «tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, des informations et des idées par quelques moyens d’expression que ce soit.»
On s’en félicite. La liberté d’expression est un droit fondamental dans notre société. A juste titre, le Gabon notre pays fait partie des nations civilisées, membres à part entière de l’ONU. Naturellement, il a paraphé la déclaration universelle des droits de l’homme. En outre la constitution de la République Gabonaise consacre cette liberté d’expression dans son article premier, qui énonce : «La liberté de conscience, de pensée, d’opinion, d’expression, de communication…. est garantie à tous sous réserve du respect de l’ordre public.»
Mais, notre pays ne dispose pas encore d’une bonne législation sur la liberté de l’information. Des lois écrites, détaillées et précises qui régissent les droits et devoirs des journalistes. Car la loi 12/2001 du 12 décembre 2001 portant code de la communication audiovisuelle et écrite, avait, de toute évidence, été prise dans la précipitation pour remédier au vide légal dans lequel exerçait notre jeune presse au début des années 1990 marquées par le retour à la démocratie multipartite.
Bien que soucieux du développement de ces nouveaux médias et de leur liberté, les auteurs de ce code, aujourd’hui dépassé, ont, cependant, omis d’accorder un intérêt particulier à l’encadrement de la liberté de la presse, autrement dit, à l’exercice du métier de journaliste qui, dans toutes les nouvelles démocraties, nécessite de déterminer des droits et devoirs essentiels.
Informer correctement pour aider à comprendre et nourrir le débat, c’est le métier du journaliste. Or depuis l’amorce du processus de démocratisation qui a favorisé au début des années 1990 la libéralisation du paysage médiatique, qui a abouti à l’émergence de nombreux médias privés, on a pratiquement confondu information et communication. Et, paradoxalement, cette confusion est entretenue par la législation en vigueur. D’où ce manque de correction qui caractérise bon nombre de nos organes de presse, l’audiovisuel comme les médias imprimés, publics comme privés, qui font n’importe quoi, au lieu de contribuer à l’instauration d’un débat démocratique national responsable, serein et respectueux des institutions.
Aussi, la nouvelle loi, qui va remplacer le code de 2001, doit-elle se soucier de valoriser la liberté de la presse par un encadrement responsable de l’exercice du métier de journaliste ; et aussi, se soucier d’organiser la presse elle même, c’est-à-dire, les hommes et les entreprises qui les emploient, en leur offrant des statuts qui les revalorisent et qui leur assurent un épanouissement culturel, politique et matériel. Car, un pays qui s’exerce à la démocratie a besoin d’un régime de presse responsable et crédible, qui dialogue avec les citoyens dans un climat de paix et de confiance réciproque.
Plus qu’une simple révision, c’est donc une refonte totale du texte législatif actuel qui est attendue, pour l’adapter non seulement aux standards internationaux applicables en matière de liberté d’expression et de liberté de la presse, mais aussi, et surtout, aux nouvelles pratiques démocratiques réclamées par nos concitoyens, ainsi que par les plus hautes autorités du pays, qui sont à l’origine de cette heureuse initiative, dont l’aboutissement devrait marquer un tournant important pour le développement de notre jeune presse.
Gilles Térence Nzoghe
Ancien journaliste audiovisuel, Conseiller Membre du CNC