Feux d’artifice et couvre-feu : le Gabon s’apprête à célébrer sa liberté… sous surveillance. Alors que le pays organise deux fêtes nationales en ce mois d’août, un nuage d’incohérence plane sur ces réjouissances. Entre hymnes à la liberté et restrictions nocturnes, le peuple gabonais se demande s’il doit rire ou pleurer de cette indépendance à mi-temps. Plongée au cœur d’un pays où l’on vous dit «Dansez !» mais pas après 2 heures du matin.
En ce mois d’août 2024, le Gabon s’apprête à célébrer deux fêtes nationales dans un climat paradoxal qui ne manque pas de soulever des interrogations. D’un côté, les préparatifs battent leur plein pour commémorer le 64ème anniversaire de l’indépendance le 17 août, ainsi que la toute nouvelle «Journée nationale de la libération» le 30 août. De l’autre, un couvre-feu persistant, vestige du coup d’État de 2023, continue de museler les libertés des Gabonais.
Une liberté à deux vitesses
Le contraste est saisissant. Alors que le gouvernement de transition, cornaqué par le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), s’évertue à célébrer la «libération» du pays, la population demeure entravée par un couvre-feu nocturne. «C’est comme si on nous disait d’une main ‘Vous êtes libres’, et de l’autre ‘Mais pas trop’», confie Jeanne M., commerçante à Libreville.
Bien qu’allégé en mai dernier, passant de 23h30-5h00 à 2h00-5h00, ce couvre-feu continue de peser lourdement sur l’économie et le moral des Gabonais. «Nous sommes censés célébrer notre liberté retrouvée, mais nous ne pouvons même pas décider de l’heure à laquelle nous rentrons chez nous», s’indigne Pierre O., patron d’un bar populaire de la capitale.
Les conséquences économiques de cette mesure sont désastreuses. Le secteur du tourisme et des loisirs, représentant 4% du PIB et plus de 250 milliards de francs CFA, ne s’est toujours pas remis de cette camisole de force, mise en place durant la pandémie du Covid-19 et renouvelée par le pouvoir d’Ali Bongo un peu avant le scrutin présidentiel de 2023. Plus de 40 000 emplois et 2000 entreprises formelles sont depuis lors à la peine. Sans parler des milliers de travailleurs informels – vendeurs ambulants, chauffeurs de taxi nocturnes, petits restaurateurs – ayant vu leurs revenus s’effondrer et ne jamais revenir à la normale du fait de la psychose, impactant la consommation, des couvre-feux répétitifs et prolongés.
«Comment peut-on parler de libération économique quand on étouffe tout un pan de notre activité ?», s’interroge Marie-Claire D., membre de l’Association des tenanciers des bars et snack-bars du Gabon. «Ces célébrations sonnent creux pour tous ceux qui luttent chaque jour pour survivre sous ce régime de restrictions.»
Une sécurisation du territoire qui s’éternise
Le maintien du couvre-feu, près d’un an après le «coup de libération», soulève maintenant des questions sur les véritables intentions du CTRI. «On nous avait promis un nouveau départ, mais on a l’impression de revivre les mêmes schémas que sous l’ancien régime», déplore Jean-Paul K., membre d’un parti politique de l’opposition sous Ali Bongo.
La juxtaposition de ces célébrations nationales avec le maintien de mesures restrictives crée un sentiment de dissonance cognitive au sein de la population. D’un côté, on exalte la liberté et l’indépendance, de l’autre, on perpétue des pratiques dignes d’un état d’urgence.
Face à cette situation, de nombreuses voix s’élèvent pour demander la levée totale et immédiate du couvre-feu. «Si nous sommes vraiment libres, prouvez-le en nous rendant notre liberté de mouvement», lance Sylvie N., gabonaise interrogée à la sortie d’un supermarché de Libreville.
Alors que le Gabon s’apprête à vivre littéralement deux semaines de célébrations nationales, la question reste entière : peut-on véritablement fêter la liberté quand celle-ci demeure partielle ? Le gouvernement de transition devra rapidement apporter des réponses concrètes s’il veut convaincre les Gabonais de ce que le «coup de libération» n’était pas qu’un simple changement de garde au sommet de l’État.