Dans cet entretien exclusif, Mike Jocktane, acteur majeur de la scène politique gabonaise livre sa vision du Gabon post-Bongo. Candidat à l’élection présidentielle de 2023, il revient sur les événements marquants de la transition, notamment son équipée ratée vers la Guinée Équatoriale. L’évêque protestant et un homme politique analyse les actions du CTRI, et partage ses ambitions pour l’avenir du pays. Entre espoir d’un renouveau démocratique et appel à l’unité nationale, il dessine les contours d’un «Gabon nouveau » tout en posant un regard lucide sur les défis à relever.
GabonReview : Pouvez-vous nous décrire votre réaction immédiate lorsque vous avez appris le coup d’État du 30 août 2023 au Gabon ? Quelles ont été vos premières pensées et actions ?
Mike Jocktane : Je dois d’abord souligner que j’étais candidat à l’élection présidentielle du 26 août 2023. J’étais porteur d’une offre politique et j’avais déjà sillonné une part importante du territoire national, bravant les obstacles et les contraintes diverses. Partout à travers le pays où j’étais passé, j’avais saisi un message fort de la part des compatriotes : l’envie absolue de tourner la page du système Bongo-PDG.
Aussi, face à l’obstination des tenants du pouvoir déchu, nous avons, au sein de la Plateforme Alternance 2023, décidé de nous unir pour décrocher une victoire écrasante en présentant un seul candidat. Ce choix a dérouté l’ancien régime. Les Gabonais se sont reconnus dans notre démarche et, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, ont adhéré à la candidature unique d’Alternance 2023. Mais nous n’étions pas dupes quant au fait que les imposteurs au pouvoir n’allaient pas si facilement admettre leur défaite pourtant manifeste. Les signaux donnés par eux-mêmes durant le déroulement des opérations électorales nous donnaient raison : publication de fausses tendances des urnes dans certains centres de vote, coupure d’internet, etc. Le risque d’un soulèvement populaire des Gabonaises et des Gabonais qui n’allaient plus accepter un énième hold-up électoral, comme en 2016 et durant les élections précédentes, était bien présent. De même, la riposte violente et armée du régime ne faisait l’ombre d’aucun doute. Tout le dispositif répressif était prêt. Le pays allait inexorablement tomber dans un chaos total.
C’est pourquoi, lorsque les militaires ont annoncé leur prise de pouvoir le 30 août, quelques instants après que l’organe électoral ait invraisemblablement prononcé de faux résultats, j’ai été animé d’un double sentiment : la joie de voir ce régime enfin tomber et l’espoir de voir l’armée rétablir la vérité des urnes si possible, ou au moins d’ouvrir un processus de reconstruction des institutions et du cadre électoral. Une chose était sûre : la page des Bongo-PDG était déjà tournée. C’était un bienfait pour les populations qui avaient trop subi les privations de leurs droits et le vol de leur dignité de la part de ce régime.
Vous avez tenté de rejoindre la Guinée Équatoriale peu après le coup d’État. Un peu plus que ce que vous en avez déjà dit, quelles étaient vos motivations à ce moment précis ?
Notre pays était entré dans une phase incertaine de son histoire au lendemain du 30 août 2023. Où allions-nous avec les militaires ? Que fallait-il faire pour que le processus enclenché tienne compte de l’expression populaire du 30 août qui avait justifié la prise de pouvoir salvatrice de l’armée ? En notre qualité d’acteur politique, était-ce opportun de rechercher des appuis intérieurs et extérieurs pour aider notre pays à ne pas basculer dans quelque chose que personne ne maîtrisait ? Que fallait-il faire pour garantir le retour à l’ordre constitutionnel, afin de nous épargner des sanctions et un déchirement du pays ? Ce sont les questionnements, à chaud, qui m’ont amené, sous la pression sociale et politique des jours suivant l’intervention militaire, à accepter d’entreprendre ce déplacement vers les autorités de Guinée-Équatoriale. Ce ne fut pas pour déstabiliser le pays, mais pour requérir des conseils et des orientations en vue de nous aider à mieux amorcer les rapports avec l’armée, le discours avec les populations, et surtout avec la communauté sous-régionale, notamment la CEEAC, ainsi que la communauté internationale dont on voyait les sanctions arriver. La lettre dont j’étais porteur était d’ailleurs claire en ce sens. Donc, il y a eu une instrumentalisation injuste et une politisation outrancière alors que je n’avais d’autre volonté que de participer à la construction de mon pays, le Gabon post-PDG-Bongo.
Après votre arrestation, vous avez passé un certain temps en détention. Pouvez-vous nous parler de cette période et de son impact sur votre vision politique ?
La détention et les auditions ont eu lieu à la prison et au parquet d’Oyem, qui était territorialement compétent. C’était la première fois depuis mon engagement politique que je me trouvais dans l’univers carcéral. Je n’en ai pas honte. Au contraire, la prison a souvent été un lieu de construction intérieure ou une sorte de passage obligé pour les hommes d’État et les visionnaires. Je n’y étais pas en tant que prisonnier de droit commun, mais en tant que leader politique qui avait cru en la justesse et l’utilité d’une démarche politique visant à participer à la consolidation de la paix, de la stabilité et de l’unité du pays au lendemain du 30 août 2023. À Oyem, comme à Libreville, je fais le même constat en ce qui concerne les conditions carcérales des prisonniers politiques sous l’ancien régime : surcharge des quartiers, problèmes d’hygiène… Tout cela doit être pris en compte lorsque nous parlons de la restauration des institutions.
Comment évaluez-vous la gestion de la transition par le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) jusqu’à présent ? Quels sont, selon vous, les points forts et les points faibles de son action ?
La feuille de route du CTRI se résume globalement à trois points politiques majeurs : la réforme des institutions pour ramener la confiance et la dignité du peuple gabonais, l’élaboration d’une nouvelle constitution et l’organisation d’élections libres et transparentes. À ces pans, ils ont ajouté, entre autres, la mise en œuvre de réformes structurelles sur le plan économique et infrastructurel. Je retiens qu’il y a une volonté de rupture avec le passé et les pratiques de l’ancien régime, afin d’inscrire le pays de manière irréversible vers des valeurs comme le patriotisme et le retour à notre socle culturel. Cependant, dans l’atteinte de ces objectifs politiques majeurs, je constate que la politique occupe une place prépondérante dans les prises de décisions, les nominations et même dans certaines pratiques politico-administratives.
En ce qui concerne les réformes structurelles, je relève que des mesures positives ont été prises ou engagées. Par exemple, dans le domaine des finances publiques (remontée des recettes fiscales et douanières), dans le traitement de la dette publique, en matière de sauvegarde du patrimoine de l’État avec le processus de retour au domaine de l’État de plusieurs biens spoliés par l’ancienne classe dirigeante corrompue ; dans l’économie avec la prise en main de certains domaines stratégiques comme le pétrole (le rachat d’Assala), le transport aérien (nouvelle compagnie Fly Gabon) ou les mines. Certaines de ces réformes impactent également le tissu social, comme la restauration des bourses des élèves au secondaire et la relance des chantiers des écoles et des universités.
Sur le chantier de la réforme des institutions, je salue l’idée d’une consultation populaire et sa mise en œuvre avec la collecte de près de 40 000 contributions citoyennes. Cette démarche a permis de demander directement aux populations de faire le diagnostic de l’état du pays et de proposer des pistes de solution pour un renouveau national.
En revanche, l’étape de synthèse de ces propositions lors du dialogue national a été quelque peu passionnée, notamment par rapport aux critères d’éligibilité à l’élection présidentielle, laissant un sentiment de mise à l’écart de certains compatriotes en raison de leur binationalité pour l’accès aux plus hautes fonctions de l’État et du gouvernement.
En ce qui concerne l’élaboration d’une nouvelle constitution, avec un régime présidentiel et les critères proposés, je pense qu’il faudra présenter un argumentaire convaincant et ne pas essayer de passer en force. Par ailleurs, un point important, qui apparaît comme un point faible, est la suspension des partis politiques. Il convient de souligner que tous n’ont pas collaboré avec l’ancien régime Bongo-PDG. Les restreindre prive également le CTRI de disposer de suffisamment de possibilités variées et de recul dans l’analyse et l’adoption de certaines conclusions et réformes tant politiques qu’économiques.
Aussi, je note une faible concertation avec la société civile. Les acteurs et membres des organes de la transition ont certes été cooptés au sein des partis politiques et des organisations de la société civile, mais il reste préférable de consulter les personnalités et acteurs politiques, représentés et non représentés dans les organes de la Transition, afin de renforcer la légitimité et la nécessité des mesures prises.
En tant qu’acteur politique ayant vécu ces événements de l’intérieur, quelles leçons tirez-vous de cette période de transition pour l’avenir politique du Gabon ?
La transition ne doit pas échouer, sinon c’est le pays qui s’expose à des lendemains difficiles. La nouvelle constitution, la nouvelle loi électorale, le référendum constitutionnel et l’élection du futur président de la République sont des défis qui nous interpellent tous, militaires et civils. Nous n’avons pas de pays de rechange. Les autres nous regardent et le cas du Gabon doit faire école à chacune de ces étapes. Il faut pour cela garantir la libre expression des citoyens et éviter de catégoriser ceux qui émettent des avis constructifs, même s’ils ne sont pas d’emblée ceux escomptés par le CTRI.
Le succès de cette transition est à ce prix. Il ne s’agit pas d’une question qui se résumerait à répondre « pour » ou « contre » le président de la Transition, président de la République, chef de l’État, le général Brice Clotaire Oligui Nguema, mais il s’agit de choisir une option qui favorise réellement l’essor vers la félicité de notre pays ou pas. Le Gabon est à la croisée des chemins. Si la transition pose des bases objectives, impersonnelles et justes, l’avenir politique du pays sera abordé avec confiance.
Qu’est-ce qui vous a motivé à annoncer votre candidature pour l’élection présidentielle post-transition ?
Il ne s’est pas agi d’une déclaration de candidature à l’élection présidentielle post-transition, comme vous l’insinuez. Dans ma prise de parole du 19 juillet 2024, j’ai clairement dit que j’avais pris l’engagement de toujours garder le contact avec mes compatriotes afin de les tenir informés de ma lecture de l’évolution de la situation sociopolitique du pays. En effet, notre pays traverse actuellement une phase cruciale de son histoire qui ne doit ni déraper, ni perdurer, ni se transformer en autre chose qu’un processus noble de refondation des institutions pour entrer dans une nouvelle ère démocratique et de bonne gouvernance. L’enjeu de cette transition est de corriger les erreurs du passé.
Ensuite, comme vous le savez, j’ai été suivi par de très nombreux Gabonaises et Gabonais des neuf provinces et de la diaspora durant la campagne présidentielle d’août 2023. En tant que leader politique, j’ai des adhérents qui attendent de moi des orientations et des éclaircissements sur plusieurs sujets importants concernant le Gabon.
Vous avez parlé de «réformes hardies». Pouvez-vous détailler certaines de ces réformes que vous envisagez ?
En ma qualité de responsable politique, je crois et défends le projet d’un Gabon nouveau qui repose sur des lignes de réforme claires notamment, la transformation de la gouvernance, la transformation de l’économie, la transformation sociale, le développement durable et harmonieux des provinces, l’éradication de la pauvreté et du chômage, la construction de l’unité nationale, et la parité homme-femme dans toutes les sphères de décisions publiques et privées. Le contexte politique actuel ne permet pas encore que je donne plus de détails, ou que je développe davantage tous ces sujets mais il est important que l’opinion sache ce que je pense et que je souhaite pour le pays. Le moment venu, j’en dirai plus.
Quel message souhaitez-vous adresser aux électeurs gabonais ?
Nous ne sommes pas encore en période électorale, mais pleinement dans la transition. Donc, plutôt que de parler des « électeurs », je voudrais lancer un message à mes concitoyens en disant que, quel que soit notre positionnement politique d’hier et d’aujourd’hui, peu importe nos origines sociales et ethno-régionales, le Gabon ne se construira pas sans nous, mais avec chacun de nous.
Aussi, je milite véritablement pour un Gabon construit sur les principes et les valeurs de démocratie, de paix, de prospérité, de liberté et d’unité. C’est la raison pour laquelle, je pense que l’un des ‘cheval de bataille’ du CTRI, de toutes les gabonaises et tous les gabonais dans cette période cruciale doit être d’organiser une élection présidentielle libre, transparente et crédible afin de permettre le retour à l’ordre constitutionnel et de corriger les erreurs passées. Le Gabon aura la forme que nous déciderons de lui donner. Je crois au Gabon nouveau ! Le Gabon nouveau est possible !