Professeur de français depuis plus de 20 ans, Andoche Ondo Metoule dénonce dans la tribune libre ci-après «la mise à mort du système éducatif gabonais» par le régime déchu fin-août 2023. Il évoque un projet planifié ayant pour objectif d’abrutir des générations entières. «Je souhaite que le nouveau pouvoir se pense sur ce problème et établisse les responsabilités», explique-t-il.
Au moment où s’ouvre le Dialogue national, il revient à l’enseignant que je suis de rappeler un fait important.
En effet, tout le monde s’accorde à reconnaître que le système éducatif gabonais est, chaque année, de plus en plus faible. Un système éducatif étant un conglomérat de théories et de pratiques, il serait naïf de penser que la baisse de niveau ainsi constatée soit un fait hasardeux ou un coup de malchance. Mais si l’on évite un peu la langue de bois, l’on se retrouverait directement devant ce que l’on pourrait qualifier de crime éducatif. À moins de nous prouver par des théories scientifiques que les enfants des années 1960, 1970, 1980, 1990, avaient quelque chose qui les rendaient plus aptes à s’adapter aux programmes scolaires, par rapport à ceux d’après. Or, nous constatons que la physiologie de l’enfant est toujours la même, mais l’élève gabonais, de nos jours, arrive facilement en terminale sans savoir lire et écrire. Ce qui était impossible dans les années 80 ou 90. Ce qui fait qu’aujourd’hui, dans une classe de première, le niveau réel de plus de la moitié des apprenants est la 5ème. Personne ne peut le contester. Sauf évidemment ceux qui en tirent profit. Cela semble avoir été mené à partir d’un plan bien huilé, exactement ce qui a été opéré lors de la mise à mort de la production du cacao. On a commencé par lui donner plusieurs noms: déchet, courant et supérieur. Et très vite, les agriculteurs se sont découragés, vu que leurs revenus n’étaient plus garantis.
Mais, d’où vient cette destruction du tissu éducatif gabonais ?
Bien évidemment, elle vient de la logique selon laquelle chaque gouvernement « fabrique » les citoyens dont il a besoin. Si le système PDG avait pour réelle ambition de former une élite dans ce pays, on n’aurait jamais connu cette rupture opérée dans notre système, à savoir, des parents souvent illettrés ont formé des docteurs et des ingénieurs, mais ces derniers, dans leur grande majorité, voient leurs enfants difficilement obtenir les mêmes diplômes.
«La plus grande ruse du diable est de faire croire qu’il n’existe pas», disait Patrick Nguema Ndong. Alors, on accuse les parents d’aujourd’hui de ne plus être capables de suivre leur progéniture à la maison, on accuse les enseignants de ne pas être assez performants, etc.
Mais j’ai l’habitude de le dire, À UN PROBLÈME, UN SEUL RESPONSABLE. C’est donc ce régime et LUI SEUL qui a sciemment détruit le système éducatif gabonais. Et pour se couvrir, ils nous ont bernés avec leur célèbre formule : «Les torts sont partagés.»
Leur affaire était visiblement bien ficelée, que des intelligences ont été mises à contribution pour bâcler la formation des enseignants, changer les programmes au primaire, retirer du circuit les méthodes et les ouvrages capables d’éveiller la sensibilité cognitive des apprenants, tout en précarisant ceux qui sont chargés de les former, c’est-à-dire les enseignants. Penser que cet argumentaire n’est pas fondé, c’est dire que le système PDG n’a réussi que dans le monde éducatif. Or, nous savons qu’il n’a réussi dans aucun secteur valorisant. Plus de 85% des changements opérés dans le système éducatif gabonais sous le régime PDG étaient des propositions de destruction. Il faut aujourd’hui retrouver ceux qui sont à l’origine de ce désastre pour leur demander des comptes car, des intellectuels ont été rémunérés grâce à l’argent du contribuable, pour opérer ce massacre. L’argument massue de ceux-là est de s’appuyer sur le système scolaire français. Une autre aberration, car comment peut-on s’appuyer sur un système qui est quasiment dernier en Europe ? Comment un élève peut-il espérer être premier en copiant ce que fait le dernier de la classe ?
Ce que je dénonce à travers ces lignes est connu de tous! Mais les gens préfèrent se taire et assister à cette descente aux enfers de notre système éducatif.
Alors, le nouveau pouvoir doit regarder cette affaire de plus près, à l’heure où il faut restaurer les valeurs d’une République dynamique. Parce que ce que les autres ont fait durant toutes ces années était manifestement à leur avantage. Maintenant que les choses ont changé, il est impérieux de revenir sur certaines pratiques et méthodes qui ont accéléré la destruction de la formation de nos enfants. Il est temps de repenser et refonder TOTALEMENT l’École gabonaise. Il en est de même pour tous les secteurs d’activité de notre pays. Moi, j’appartiens au corps enseignant et j’y suis depuis 21 ans. D’autres observateurs peuvent en témoigner dans leurs milieux respectifs. Durant le long règne de cette nébuleuse, aucun secteur n’a été épargné: l’éducation, le sport, la culture, les routes, la santé, etc. Tout a littéralement été détruit !
Je ne prétends pas avoir la science infuse, mais je suis convaincu que si l’on réexamine certains éléments, on pourrait avoir des résultats réels différents de ceux de ces dernières décennies :
La revalorisation de la pratique de l’orthographe: Pour changer une pratique, on doit s’assurer qu’elle fait plus de dégâts qu’elle ne porte des fruits. La seule chose qui « soigne » l’orthographe est la lecture. Comment veut-on que les élèves lisent quand ils sont conscients qu’ils ne sont plus obligés de bien écrire ? Aucun système éducatif ne peut être performant tant qu’il minimise la pratique de l’orthographe.
La science aujourd’hui n’est que théorique dans nos établissements. Pourquoi ne pas la rendre à nouveau théorique et pratique comme avant? Le Gabon n’a-t-il plus les moyens de fournir des laboratoires dignes de ce nom aux établissements scolaires ?
Les fameuses grilles de correction utilisées dans les examens au Gabon favorisent assez largement le pourcentage de réussite, sans s’assurer que tous ceux qui jubilent lors des délibérations méritent l’admission. Et les enfants l’ont bien compris avec leur chanson : «On a le bacho cadeau…» Ce Bac, dont le second tour devient une simple formalité. Des consignes obscures sont distillées aux examinateurs pour offrir l’examen même aux non méritants. Le niveau actuel de l’épreuve de français au BEPC flirte avec celui de l’ancien CE1…
La liste de ces exemples est non exhaustive.
Si l’on veut réellement du bien de ce pays, il est temps de mettre un terme à tout ce cinéma, parce qu’on ne peut pas faire semblant de former une élite sans le payer un jour. Et sur ce plan, justement, notre facture est déjà assez lourde et salée. Dans nos universités, dans nos administrations, des personnes pourtant respectables « mélangent » les lui, le, la, de façon hasardeuse et catastrophique. À l’écrit aussi, il ne se passe pas une semaine sans qu’une note de service truffée de fautes ne fasse le tour des réseaux sociaux. Tout cela, parce que sous l’ancien régime, le Gabon a été l’un des rares pays à relever le défi lancé par le Président Abraham Lincoln : «Si vous pensez que l’éducation coûte trop cher, essayez donc l’ignorance.»