Le décret n° 0115/PT-PR/MRI du 8 mars 2024 avait laissé transparaître une volonté de verrouillage. Pour annihiler cet effet, le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) s’est résolu à recourir à de nombreux esprits libres.
Annoncée vendredi dernier, la composition du bureau du Dialogue national inclusif a plutôt été bien accueillie. Si le décret n° 0115/PT-PR/MRI du 8 mars 2024 avait laissé transparaître une volonté de verrouillage, cette impression semble de moins en moins partagée. Exprimées par diverses forces sociales, les demandes de report ont manifestement produit de l’effet, induisant une certaine inflexion. En faisant la part belle aux hommes de Dieu, le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) a voulu positionner le bureau à équidistance de toutes les forces sociales tout en donnant des gages de probité morale, les religieux étant censés accomplir la volonté divine et vivre non pas pour le monde présent mais pour l’éternité, quitte à endurer des souffrances. En choisissant des personnalités aux caractères bien trempés, les organisateurs ont implicitement admis un fait : jusque-là, ils avaient donné du grain à moudre aux sceptiques.
Indépendance d’esprit
De l’avis général, le décret portant convocation et organisation du Dialogue national inclusif avait été du plus mauvais effet. Dès lors, il semblait urgent et nécessaire sinon de revoir la copie, du moins de lâcher du lest. Si la désignation de l’archevêque de Libreville comme président avait maintenu la flamme de l’espoir, le choix de deux autres ecclésiastiques aux positions tranchées lui a redonné de l’incandescence. Pour mémoire, en décembre 2019, Mathieu Madega Lebouakehan lançait : «Puissent les slogans creux (…) faire place à une prise de conscience (…), en vue d’un sursaut effectif de souveraineté et de patriotisme et un bon engagement pour le bonheur véritable de toute la population.» Le même jour, Jean-Bernard Asséko Mvé ajoutait : «Devant le spectacle désolant et dégradant de la vie sociale, (…) la démission serait une façon honorifique et élogieuse de rendre le tablier à Dieu, pour qu’il trouve des personnes plus aptes à conduire ce peuple-là, qui mérite d’avoir des dirigeants qui pensent à lui.» S’inscriront-ils dans cette lancée ? La suite le dira.
Pour l’heure, ces choix jugés judicieux s’ajoutent à d’autres, notamment à ceux portés sur Béni Ngoua Mbina et Jean-Rémy-Yama, réputés pour leur indépendance d’esprit. Appelé à occuper la charge de 2ème vice-président, le premier y représentera les églises charismatiques et de Réveil. S’étant illustré, ces derniers temps, par des vidéos de sensibilisation à la lisière de la théologie de libération, l’homme peut se prévaloir d’un parcours remarquable. Tour à tour leader étudiant, activiste politique, cadre du Rassemblement pour le Gabon (RPG) puis député à l’Assemblée nationale, il a porté ou soutenu de nombreux combats en lien avec la promotion de la démocratie et la défense des droits humains. Quant au second, c’est un acteur de la société civile à l’engagement éprouvé. Plusieurs fois incarcéré sous le régime déchu, il a toujours plié sans jamais rompre, faisant montre d’un courage et d’une capacité de résilience hors du commun.
Un panachée d’assez bonne facture
Au bureau du Dialogue national inclusif, le président de Dynamique unitaire retrouvera des personnalités avec lesquelles il a peu ou prou déjà travaillé. Pêle-mêle, on peut citer : Justine Judith Lékogo, représentante du Copil citoyen et 7ème vice-présidente ; Justine Mintsa, conseiller adjoint 2 ; Jean-Bernard Asséko Mvé, porte-parole ; Hervé Essono Mezui, Colette Rébouka et Jean-Gaspard Ntoutoute-Ayi, rapporteurs. En voulant réduire l’influence des partis politiques, les rédacteurs du décret n° 0115/PT-PR/MRI du 8 mars 2024 ont dû faire davantage de place à la société civile. Mais, il avaient perdu de vue cette réalité bien de chez nous : dans de nombreux cas, les mêmes personnalités portent synchroniquement les deux casquettes ; dans d’autres, elles mènent les mêmes combats. Par conséquent, il n’est guère aisé d’établir un cloison étanche entre monde politique et monde associatif. Résultats des courses : au-delà de leurs étiquettes officielles, de nombreux membres du bureau ont, dans un passé relativement proche, professé les mêmes idées, défendu la ligne progressiste.
Même s’il faut attendre pour juger sur pièces, la composition du bureau a eu un effet rafraîchissant : on s’attendait à y voir uniquement des personnalités corvéables et taillables à souhait, on a eu droit à un panachée d’assez bonne facture. Ainsi, dans la direction de débats, l’archevêque de Libreville pourra bénéficier de nombreux appuis, en sus des cinq autres ecclésiastiques catholiques nommément cités. Pour annihiler les effets pervers du décret portant convocation et organisation du Dialogue national inclusif, le CTRI s’est résolu à recourir à de nombreux esprits libres. Si ces assises échouent, le grand public sera par conséquent fondé à demander des comptes, notamment à l’épiscopat gabonais.