La période de transition actuelle ne concerne pas uniquement les militaires au pouvoir et les politiques qu’ils accusent d’avoir failli. À l’instar de la société civile, les médias ont également un rôle majeur à jouer pour l’avènement du Gabon nouveau auquel beaucoup aspirent. Dans la tribune libre ci-après, Dr Alfred Angoué Minang*, fraîchement diplômé de l’Université Grenoble-Alpes, en France, invite particulièrement la presse en ligne gabonaise à «marquer davantage [son] empreinte dans la préparation de l’éveil des consciences» en pareille circonstance.
En pleine période extraordinaire comme celle que traverse actuellement le Gabon, il revient aux médias gabonais (presse physique et presse en ligne) d’introduire dans l’espace public les sujets cruciaux qui doivent orienter la conscience collective dans la fièvre d’une transition politico-sociale. Est-ce le sentiment qui se dégage présentement lorsque l’on suit l’actualité médiatique nationale ?
À la lecture des faits, il y a bien des bribes d’une appétence des médias nationaux à mettre en lumière les problèmes qui relèvent de la volonté d’une transformation de la société, mais cette implication médiatique reste insuffisante, voire inefficace.
Les médias publics, aussitôt les nouvelles autorités de la transition installées, semblent retomber dans les méandres du culte de la personnalité au vu de l’information institutionnelle qui prime à la faveur du nouvel homme fort du pays, le Président de la transition Oligui Nguema. Quant aux médias privés, l’actualité sociopolitique parait moins critique du fait de plusieurs facteurs : l’acceptation par le plus grand nombre du coup d’Etat militaire du 30 août dernier ; la prohibition des partis politiques limitant les opinions contradictoires ; l’insertion d’un certain nombre de poids politiques, d’ acteurs de la société civile et d’anciens activistes dans le gouvernement de transition ; sans omettre les élans de griotisme politique (le kounabélisme) qui ressurgissent dans les habitudes de plusieurs citoyens envers les nouvelles autorités. À cela s’ajoute, la violation de la liberté de la presse manifeste à quelques mois après le coup d’Etat. Alors que le Président de la transition faisait la promesse de rendre ses lettres de noblesse à la presse en s’adressant aux journalistes, voilà que Gabonmediatime et Dépêche 241 se verront inquiétés respectivement par le procureur de la République et la HAC pour avoir osé remettre en cause l’attitude de deux oligarques du pays.
Une constatation qui met au goût du jour l’objet de ma thèse de doctorat soutenue le 17 janvier 2024 à l’Université de Grenoble-Alpes en France. La problématique a porté sur la contribution ou pas de la presse gabonaise en ligne au pluralisme de l’information en période électorale au Gabon. Ici, on conçoit le pluralisme informationnel comme une valeur normative de la démocratie qui se traduit par la diffusion d’opinions diverses et contradictoires dans l’information journalistique en vue d’éclairer les citoyens. Partant de ce postulat, le travail de recherche a consisté à s’interroger sur ce en quoi et comment les nouveaux médias numériques gabonais, encore appelés les médias natifs du web, se distinguent des médias traditionnels et participent au pluralisme de l’information politique en temps d’élection. C’est par l’étude des conditions de production des professionnels de l’information et l’analyse de contenu des publications des médias natifs du web que sont Gabonreview, Gabonactu, Gabonews, Gabonmediatime, Gaboneco, ainsi que les sites éditeurs de presse de L’Union et Echos du Nord que nous sommes parvenus à tirer des conclusions.
D’abord, l’étude a montré que les médias natifs du web soumis à notre étude ont un modèle économique instable, fragilisant leur autonomie financière et leur situation socioprofessionnelle ; Ensuite, ces nouveaux médias numériques, contrairement aux médias traditionnels, font montre d’un équilibre informationnel relatif en période électorale ; Aussi, ils apportent une certaine originalité éditoriale en élargissant l’actualité sociopolitique par la médiatisation de sujets marginaux. En définitive, la presse gabonaise en ligne ne remplit sûrement pas toutes les modalités du pluralisme de l’information, mais elle contribue significativement à son amélioration.
Ainsi, au regard du contexte de transition sociopolitique dans lequel baigne le Gabon, les médias nationaux en général, et les médias natifs du web en particulier, devraient marquer davantage leur empreinte dans la préparation de l’éveil des consciences. Pour cela, il serait pertinent de promouvoir des espaces médiatiques de débat contradictoire afin de susciter l’esprit critique auprès du citoyen lambda et l’autocritique des leaders et responsables politiques. Les autorités du CTRI ont défini la période de transition comme étant celle de la restauration des institutions. Ce qui revient à dire qu’il y a nécessité de faire des réformes constitutionnelles et revoir la vision sociale et sociétale vers laquelle la société doit se reconstruire. Que d’attendre le grand dialogue national, c’est maintenant que les médias du pays devraient offrir aux gabonais de toutes les couches sociales la possibilité de s’exprimer quotidiennement, sans tabou sur leurs préoccupations et sur ce qu’ils voudraient voir changer. Les émissions de débat de tous ordres, la représentativité médiatique de la parole des populations en milieu rural et l’évaluation régulière par les personnes ressources des politiques publiques doivent fortement occupées les médias. Ceci permettra de mesurer à grande échelle les défis de la nation, cerner les préoccupations fondamentales des Gabonais pour ainsi mieux préparer le référendum qui se profile à l’horizon.
L’erreur qui est entrain d’être commise est de laisser cet espace de liberté d’expression populaire aux réseaux sociaux. Les médias natifs du web gabonais, à l’instar de ceux ayant constitué mon corpus d’étude (Gabonreview, Gabonactu, Gabonmediatime), devenus les organes d’information les plus dynamiques du pays, peuvent jouer ce rôle d’incitation au débat public. La vitalité d’un pays dépend aussi de la vitalité du rôle joué par ses médias. De fait, la place et l’attitude de la presse nationale pendant ces deux prochaines années sont capitales pour la réussite ou l’échec de la transition.
*Alfred Angoué Minang, Docteur nouveau régime en sciences de l’information et de la communication de l’Université Grenoble-Alpes, France.