La lecture des nominations prononcées lors des derniers Conseils des ministres du Gouvernement Ona Ondo laisse apparaître un retour en force de ce que l’on nomme pudiquement «repli identitaire». Pas de «Gabon d’abord», mais mon «village d’abord». Les déclarations publiques du chef de l’Etat ne semblent pas suffisantes pour annihiler ce processus qui n’a rien à voir avec le «vivre ensemble» tant clamé et réclamé par Ali Bongo. Le problème est qu’il n’y a peut-être pas d’hommes d’Etat dans le pays. Analyse.
L’heure est-il au repli identitaire ? Qu’ils soient intellectuels, bien formés, titulaires de diplômes de haut niveau, ou qu’ils aient été appelés à de hautes responsabilités en raison de leur militantisme ou de leur appartenance à des cercles innommables, qu’ils soient des élus ou non, le fait est là : les responsables politiques du Gabon font de l’ethnocentrisme un des axes majeurs de leur action publique. Pourtant, l’année dernière, le quotidien L’Union avait, dans sa rubrique «En hausse, en baisse», indexé Rose Francine Rogombé, président du Sénat, et Guy Nzouba Ndama, président de l’Assemblée nationale, pour avoir procédé à des promotions «identitaires». L’objectif de cette piqûre de rappel était de ne pas voir se poursuivre des nominations basées sur l’ethnie, le département, la province. En un mot, des «nominations-villages». Rien à faire : elles sont toujours là !
Exemple du chef et récidive
Le Premier ministre tout d’abord. Sur les onze départements techniques que compte son Cabinet, Daniel Ona Ondo a confié la gestion de sept d’entre eux à des ressortissants de sa province. Un certain nombre de ses ministres ne se sont pas empêchés de suivre ce «modèle». Parmi eux, Luc Oyoubi, mais en réalité celui-ci n’a pas attendu de devenir ministre dans le gouvernement de Daniel Ona Ondo pour faire la promotion des ressortissants du «Pays de la Brikolo» (Sébé et Bayi Brikolo) ou de toute la province du Haut-Ogooué. Déjà, au ministère de l’Economie, de l’Emploi et du Développement durable, Luc Oyoubi avait, à la direction générale des Douanes et à celle des Impôts, imposé ses «frères du village», notamment dans les postes de directeurs et de chefs de service. Un scandale à l’époque!
Là, au ministère de l’Agriculture, il a, en quelque sorte, «récidivé» en choisissant comme directeur de cabinet, chef de cabinet, huit conseillers sur neuf, et attaché de presse, soit onze personnes sur douze des ressortissants de sa province d’origine. Docteur en économie, technocrate doué qui a formé pendant une décennie des administrateurs économiques et financiers, marié à une Antillaise, Luc Oyoubi est présumé avoir un esprit d’ouverture et des dispositions d’esprit devant lui permettre de travailler avec des compatriotes de toutes les provinces, mais hélas, tel n’est pas le cas.
Là, à l’Agriculture, il fait fort. Avant de passer certainement par le changement de têtes dans les directions générales, il n’a nommé, à son Cabinet, que les Okouma, Louma, Omouala, Ontchougou, Okoundji, Okala, Mvoumbi, Owoulaba,… Au Secrétariat Général, il a fait venir un ressortissant d’Okondja qui, dans sa jeunesse, organisait la Coupe Oloupi au village. Esprit d’unité et de cohésion nationale, où es-tu?
Exemples au pif
Pour sa part, et comme il l’avait déjà fait au Conseil national de la Communication (CNC), Guy Bertrand Mapangou a choisi de s’entourer majoritairement, à l’avenue de Cointet, de ressortissants du pays Gisir.
Pourtant, la situation du pays, l’amour qu’on doit au Gabon, exigent de tous – et surtout des responsables politiques – un sens élevé des responsabilités. L’émergence à laquelle aspire le Gabon devait permettre d’ouvrir une nouvelle page de la gestion des ressources humaines et des compétences du pays, notamment des agents publics.
La seule question qui vaille est : «est-ce que ces promotions identitaires servent l’intérêt général ?». Ces nominations-villages ne risquent-elles pas de frustrer, de démotiver des cadres parfois plus brillants ou qui espéraient que le chef regarderait le travail par eux fourni, que le chef récompenserait la compétence au lieu de n’emmener que des «gens de chez lui» ? «Ali Bongo, où es-tu ? Président, ne laissez pas le tribalisme détruire le Gabon», lance, exaspéré, un cadre de la mairie de Libreville d’ethnie Mpongwè.
Exceptions qui confirment la règle
Heureusement, Séraphin Moundounga, Brigitte Anguilet Mba, Pastor Ngoua N’Neme et Christian Magnagna n’ont pas choisi le même couloir. Ils ont d’abord regardé le «pedigree» pour ne pas dire le curriculum vitae avant de regarder l’origine. Le Garde des Sceaux a choisi une juriste et authentique fille de Plaine-Niger à Libreville pour diriger son cabinet. On peut dire qu’elle est mariée à un authentique fils de la Nyanga, Faustin Bouka, et peu importe qu’elle soit la cousine d’Aurélie Ntoutoume Obame qui est très proche du ministre de la Justice, Brigitte Békalé est originaire de la capitale gabonaise. Dans son cabinet, on note des Wora Pira, Minso, Ndounou, Minkouet, Bourdette, Boubenga, Mvey, qui ne sont pas de chez lui… Séraphin Moundounga semble avoir retenu les leçons des quolibets qu’il avait reçus à son précédent poste lorsqu’il s’était illustré par des «promotions villages».
Le ministre de la Prévoyance sociale et de la Solidarité nationale, fille du président Léon Mba, a pioché dans le vivier Punu celui qui est son principal collaborateur, Serge Maurice Pambou, docteur en macro-économie, enseignant à la Faculté des Sciences Economiques de Libreville. Des Bouassa, Manfoumbi, Padou figurent parmi les personnes promues autour d’elle. Au fond, elle n’avait pas le choix, la fille du fondateur de la République et chantre de l’unité nationale ! Quant au ministre de l’Economie numérique, tout en nommant un ressortissant de Bitam, ville dont il est originaire, au poste de directeur de cabinet, il a confirmé des collaborateurs de son prédécesseur, tels que Florence Lengoumbi Kouya, Paul Mouketa et Onanga Azengo, et promu un diplomate Punu, Mouloungui Mbadinga, au poste de conseiller diplomatique, et un administrateur civil Fang de Kango, Charles Nzong Mba, comme conseiller administratif ! Pour sa part, le ministre du Budget et des Comptes Publics a désigné un authentique fils du pays Gisir de la Ngounié comme directeur de cabinet. Heureusement, il y a ces cas-là.
Le repli identitaire est d’autant plus incompréhensible que les propositions de nominations élaborées par les personnalités politiques obéissent à un processus : elles sont envoyées au secrétariat général du gouvernement pour examen, et peuvent y rester plusieurs semaines, voire des mois. Quand elles arrivent en conseil des ministres, elles ont en principe été revues et corrigées à la demande du secrétaire général du gouvernement (par les personnalités qui les proposent). Qu’est-ce qui fait donc que l’on en soit toujours à entendre des nominations identitaires ? A quoi sert la procédure du passage obligé du secrétariat général du gouvernement ? En tout cas, ces promotions-villages, ce tribalisme qui dure et dont malheureusement le Gabon est accoutumé, donnent du gouvernement une image désastreuse. Ils constituent même un caillou dans la chaussure qui doit mener à l’émergence. L’émergence n’a que faire du régionalisme et du tribalisme. Et puis, pour bâtir une nation et une République, il faut des hommes d’Etat. Y en a-t-il au Gabon ?