Les craintes d’une restauration de l’ordre ancien trouvent leur origine dans cette tendance à faire comme si l’on a assisté à un simple remplacement au sommet de l’État. Pourtant, le coup de force du 30 août 2023 avait d’abord pour but de «défendre la paix», l’objectif ultime étant des élections transparentes.
Faut-il impérativement respecter les procédures et délais prescrits par les textes ? L’ordre constitutionnel ayant été rompu par l’irruption du Comité pour la Transition et la restauration des institutions (CTRI) dans le jeu politique, peut-on s’en affranchir ? Sans pouvoir y apporter de réponses admises par tous, les acteurs de la Transition se posent ces questions. Actuellement en discussion au Parlement, la loi de finances 2024 aurait-elle dû être précédée par la loi de règlement de l’exercice 2023, conformément aux dispositions de l’article 22 de la loi n° 20/2014 relative aux lois de finances et à l’exécution du budget ? Interpellé à ce sujet, le Premier ministre a botté en touche, se refusant à toute réponse. Comme la question, cette fuite en avant traduit une forme d’indécision.
Big bang politico-institutionnel
Si une partie de l’opinion s’agace du m’as-t-u vu des ténors du régime déchu voire de la persistance de certaines pratiques, les acteurs de la Transition ne semblent ni au clair ni en phase sur une question pourtant essentielle : la signification politique et la portée juridique des événements du 30 août dernier. Ce jour-là, le CTRI avait solennellement dénoncé une «gouvernance irresponsable, imprévisible», indiquant avoir mis «fin au régime en place». Trois mois plus tard, peut-on lui exiger une application stricto sensu des règles édictées par ce même régime ? Sans lui donner un blanc-seing, on ne peut lui opposer une telle exigence. Autrement, cela reviendrait à vider le coup d’État de toute signification politique, à le réduire à un jeu à la pousse-toi de là que je m’y mette.
Mille fois exprimées, les craintes d’une restauration de l’ordre ancien trouvent leur origine dans cette tendance à faire comme si l’on a assisté à un simple remplacement au sommet de l’État, comme si la gouvernance antérieure n’était pas en cause. Pourtant, à travers le coup d’État, l’ensemble des politiques, lois, règlements et institutions ont été remis en cause. Même s’il n’a parlé ni de révolution ni de chaos primordial, le CTRI a tout de même préconisé un big bang politico-institutionnel. Or, cherchant à continuer comme avant, certains s’enfoncent dans le déni et le légalisme d’apparence. Se refusant à toute analyse du contexte, ils se lancent dans des interprétations orientées des règles, les rappelant à tort et à travers. S’ils peuvent avoir raison au plan juridique, ils ont politiquement tort.
Message sous-jacent
Cet escamotage du débat de fond ne milite pas pour la restauration des institutions. Encore moins pour la République et la démocratie. Volontiers donneurs de leçons, les tenants de l’ordre ancien font comme si le CTRI n’a jamais renversé le Parti démocratique gabonais (PDG), mais en a pris la suite. Se drapant des oripeaux de légalistes, ils raisonnent comme si les lois et règlements ne doivent pas être revisités, comme s’ils les ont toujours respectés. Se la jouant procéduriers, ils agissent comme si les institutions de la Transition s’inscrivent dans la continuité de celles dissoutes par le CTRI. Sans leur dénier le droit à la libre expression, le CTRI doit le leur affirmer : comme les pronunciamientos, le coup de force du 30 août 2023 ne visait pas seulement la prise du pouvoir. Il avait d’abord pour but de «défendre la paix» en mettant un terme à un processus électoral biaisé, l’objectif ultime étant la «restauration des institutions» et, par ricochet, des élections transparentes.
Les députés et sénateurs ont été nommés le 7 octobre dernier. Ils ont effectué leur rentrée le 30 du même mois, soit exactement deux mois après la date prévue par la Charte de la Transition. Pour ces seules raisons, les choses semblaient claires dès le départ : au vu des circonstances, les délais ne pouvaient être respectés. Pourquoi certains se plaisent-ils à faire comme s’ils ne le savaient pas ? Pourquoi se font-ils un plaisir de les rappeler ou de s’arc-bouter contre les procédures ? Pour se faire mousser ou pour gêner le CTRI ? Ne doivent-ils pas plutôt tenir compte du caractère exceptionnel de la période et du message sous-jacent envoyé par le coup de force ? Pour eux-mêmes et pour tout le monde, ils ont intérêt à se pencher sur leur bilan et à chercher la signification politique d’un coup d’État.