Les militaires ayant toujours frayé avec le pouvoir, nul ne doit s’étonner de voir les cadres du Parti démocratique gabonais (PDG) prendre langue avec eux.
Réseaux de l’ère Omar Bongo, amitiés des frères d’armes, ouverture aux animateurs de l’espace civique et, intégration des acteurs de la présidentielle du 26 août dernier : pour la cooptation des élites, le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) a opé pour une méthode reposant sur ces quatre piliers. Même si l’opinion voit un risque de retour à l’ordre ancien, les militaires restent droit dans leurs bottes, convaincus d’avoir trouvé la martingale pour une transition inclusive. Et pour cause : pour réussir leur coup de force, ils ont dû s’ouvrir les uns aux autres, établir des passerelles entre les différentes composantes des forces de défense et de sécurité. Avec plus ou moins de réussite, ils essaient de demeurer fidèles à cette pratique : si la composition du gouvernement avait déclenché des cris d’orfraie, celle des deux chambres du Parlement fait un peu moins jaser. Avec les ajustements de dernière minute, elle paraît plus conforme à la configuration de la société.
Les acteurs essentiels sont représentés
À l’exception notable de l’Assemblée nationale issue des législatives d’octobre 1990, jamais le Parlement n’a été aussi coloré. Jamais on n’y a retrouvé des femmes et des hommes venus d’horizons aussi divers. Militants du Parti démocratique gabonais (PDG) ou des formations de la plate-forme Alternance 2023, cadres de la Coalition pour la nouvelle République (CNR), leaders associatifs, officiers supérieurs des armées, acteurs institutionnels et même hauts fonctionnaires : ce n’est peut-être pas la belle verrière attendue, mais ce ne sont pas non plus les chambres introuvables de ces dernières années. Artisans et contempteurs de la Concertation politique de février dernier, promoteurs et adversaires du «bulletin unique», tenants et opposants à la thèse d’un Ali Bongo «en phase de recouvrement de la plénitude de ses capacités physiques» : ce n’est certainement pas la sanction du septennat échu, mais ce n’est pas non plus une négation des luttes engagées durant cette période.
Les événements des cinq dernières années semblent avoir eu une certaine influence sur les choix opérés. Du collectif Appel à agir à la plate-forme Alternance 2023 en passant par le Copil citoyen, la Dynamique unitaire et les candidats à la présidentielle du 26 août 2023, de nombreux acteurs essentiels sont représentés. Si on peut regretter certaines absences, si on aurait aimé voir davantage de personnalités issues du Rassemblement pour la patrie et la modernité (RPM) et un peu moins d’affidés d’Ali Bongo, on ne peut conclure à un retour de l’hydre PDG. Eu égard à la situation personnelle de son secrétaire général, ce parti ne peut avoir négocié en rangs serrés, selon une stratégie conçue d’avance. De toute évidence, ses cadres ont agi seuls, de façon individuelle, chacun d’eux ayant des amis ou connaissances parmi les ténors du CTRI. Après tout, les militaires ont toujours frayé avec le pouvoir. Sauf mauvaise foi ou naïveté feinte, nul ne doit s’étonner de voir les cadres du PDG prendre langue avec eux.
Se souvenir des fréquentations des uns et des autres
L’ombre d’Omar Bongo a manifestement guidé certains choix. Quand ils n’y sont pas allés eux-mêmes, les «roitelets» de cette époque ont été remplacés par leurs protégés d’alors. On compte ainsi un grand argentier ayant évolué sous l’autorité du défunt président, des membres de ses différents gouvernements et des anciens hauts fonctionnaires de ces années-là. Quand bien même on ne peut faire fi de leur affiliation politique, leur désignation ne peut être lue sous ce seul prisme. Pour la comprendre et en apprécier la portée, il faut se souvenir des fréquentations des uns et des autres. Au-delà, il faut remettre nos forces défense et de sécurité dans le contexte d’avant le 30 août 2016 : gardes républicains, gendarmes, marins, policiers ou militaires, tous les hauts gradés ont entretenu des amitiés dans la sphère politique, singulièrement parmi les ténors du PDG. Dès lors, il faut analyser la composition du Parlement sous un autre prisme.
Reste maintenant à savoir comment tout ce beau monde va aborder le chantier de la «restauration des institutions», comment ils vont renouveler leur logiciel, adapter leur pratique politique pour nourrir de nouveaux rêves pour le Gabon. Pourront-ils militer pour des «institutions fortes, crédibles» alors qu’ils ont toujours considéré Omar Bongo comme un homme infaillible, au point de lui vouer un quasi-culte ? Pourront-ils œuvrer à un «l’indépendance de la justice et (à) la lutte contre l’impunité» alors qu’ils ont toujours considéré la loi comme un instrument au service du plus fort, modifiable à souhait ? Pourront-ils travailler à des élections «libres, démocratiques et transparentes» alors qu’ils ont construit leurs carrières sur le trucage électoral ? À eux d’apporter des réponses dignes de citoyens libres.