En quoi la responsabilité des uns est-elle plus ou moins lourde que celle des autres ? Le traitement différencié est préjudiciable à la lisibilité de l’action du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI).
Passée l’euphorie des premiers jours, le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) est sous le feu des critiques. Aux congratulations succèdent des récriminations. On lui reproche d’avoir conçu une charte «taillée sur mesure», de l’avoir adoptée et publiée en catimini. On lui fait grief de ne pas tenir compte de la spécificité de la période et d’avoir reproduit l’architecture institutionnelle consignée dans une constitution suspendue par ses soins. On lui tient rigueur d’avoir recyclé une partie du personnel de l’ère Ali Bongo, notamment Jean-François Ndongou, décrit comme le «principal artisan du coup d’Etat électoral et de la répression sanglante de 2009». Surtout, on lui en veut d’avoir reconduit des «complices de Marie-Madeleine Mborantsuo», l’ex-inamovible et omnipotente présidente de la très controversée Cour constitutionnelle. En un mois, la cote d’alerte est atteinte.
Expression d’une certaine confiance
On peut parler de jugements hâtifs. On peut plaider l’indulgence ou demander de laisser du temps au temps. On peut prétexter une volonté de rassurer, de rassembler pour reconstruire la confiance. On peut même y voir une technique de diversion. Mais, trop de complices, passifs ou actifs, d’abus se retrouvent en première ligne. Trop d’auteurs de dérives sont remis en selle avec célérité. Pourtant, la corruption et les détournements n’auraient jamais atteint cette échelle sans le laxisme de l’administration en charge du Budget, alors aux mains de Fabrice Andjoua Bongo ; le blanchiment des capitaux et le recel n’auraient jamais été d’une telle ampleur si le Trésor public, alors dirigé par Franck Yann Koubdjé, était resté dans son rôle ; la falsification de la signature du président de la République n’aurait pas été possible si les juges constitutionnels, y compris Christian Bignoumba Fernandez, Sosthène Momba ou Afriquita Agondjo, n’avaient pas brillé par leur lâcheté.
Manifestement, le CTRI ne l’entend pas de cette oreille. Sans se poser des questions, il a redéployé deux des hauts fonctionnaires les plus en vue ces dernières années. Même si leurs nouvelles fonctions peuvent apparaître comme des lots de consolation, ces nominations n’en demeurent moins pas des marques de considération voire l’expression d’une certaine confiance. Cette déduction vaut encore plus pour les trois juges constitutionnels, reconduits en dépit de leur implication dans la rédaction puis la validation de la décision n° 219/CC aux effets si désastreux. De quelle légitimité technocratique peuvent encore se prévaloir des co-concepteurs de la notion d’«indisponibilité temporaire», jusque-là inconnue de la littérature juridique ? De quelle autorité peuvent jouir des personnalités soupçonnées d’avoir abdiqué leurs charges et de s’être montrées incapables de faire pièce à l’usurpation de pouvoir ?
Impression de deux poids, deux mesures
Peu importe les explications, le passé de nombreux promus ne rassure guère quant à leur disposition d’esprit à contribuer à la «refondation de l’Etat», c’est-à-dire à la conception d’«institutions fortes, crédibles et légitimes garantissant un Etat de droit». Leurs états de service suscitent des doutes sur leur capacité à réfléchir à des «réformes majeures sur les plans politique, économique, culturel, administratif et électoral». Pis, leurs trajectoires personnelles ne sont pas des gages d’un attachement à «l’indépendance de la justice et à la lutte contre l’impunité», à «la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés publiques» voire, à la «culture de bonne gouvernance et de citoyenneté responsable». Pour tout dire, cette distribution ne semble pas correspondre aux objectifs énoncés par l’article 2 de la Charte de la Transition. Appelés à contrôler la conformité des «actes législatifs et réglementaires», Christian Bignoumba Fernandez, Sosthène Momba et Afriquita Agondjo le feront-ils en toute indépendance ? Le cas échéant, auront-ils le cran de retoquer une initiative du CTRI ? On demande à voir. Pour l’heure, ils souffrent d’un préjugé défavorable.
De toutes ces nominations se dégage aussi une fâcheuse impression de deux poids, deux mesures. Si la mise à l’écart de Marie-Madeleine Mborantsuo, Louise Angué et Emmanuel Nzé Békalé s’explique aisément, on ne peut en dire autant des sorts réservés à Lucie Akalane, Edouard Ogandaga et, dans une certaine mesure, Jacques Lébama. La Cour constitutionnelle ayant toujours proclamé la collégialité de ses décisions, on se demande en quoi leur responsabilité est-elle plus lourde. L’interrogation contraire peut être formulée au sujet de Yann Franck Koubdjé et Fabrice Andjoua Bongo : longtemps réputés peu ou prou proches de Noureddin Bongo Valentin, Sylvia Bongo et la fameuse «Young team», ne sont-ils pas impliqués dans les outrances passées ? N’en déplaise au CTRI, ce traitement différencié est préjudiciable à la lisibilité de son action. La restauration des institutions ne saurait ni devenir une incantation ni se faire à la tête du client.