En sa séance du 27 juin dernier, le Conseil des ministres a adopté un projet de texte modifiant le budget, exercice 2014. Le résultat est controversé : de nombreux investissements pourraient ne plus se faire alors que la dette et la masse salariale s’envolent. Entre reculades et reniements, serait-ce la fin du Plan stratégique Gabon émergent ou le retour à une réalité plus brutale que le gouvernement ne l’avait cru ?
Le débat sur le budget 2014 a quelque chose de surréaliste. Alors que le gouvernement continue de clamer sa volonté de doter le Gabon d’infrastructures dignes de ce nom et de conduire le peuple vers les prairies d’abondance, plus grand monde ne semble y croire. De toute évidence, l’exécutif est en passe de quitter le virtuel pour revenir au réel. Une première étape a ainsi été franchie le 27 juin dernier avec l’adoption en Conseil des ministres d’un projet de loi de finances rectificative pour l’année 2014. Comme toujours, cette communication s’est voulue laconique, de sorte qu’on ne peut véritablement pas apprécier la portée du projet de budget dont on note tout de même la baisse.
Ali Bongo s’était jusque-là gargarisé d’agrégats macroéconomiques satisfaisants, d’une perspective de croissance à moyen terme soutenue et de prévisions encourageantes.
Le communiqué final du dernier Conseil des ministres sonne, au mieux comme un désaveu de cette vision, au pire comme la traduction d’une certaine improvisation voire d’une tendance à idéaliser. Car, s’il est convenu que cette modification à la baisse du budget initial trouve sa justification dans la révision des principales hypothèses macroéconomiques, à aucun moment il n’est fait mention des hypothèses retenues pour son cadrage budgétaire. Une situation d’autant plus intrigante que dans le projet de budget initial, les hypothèses retenues sur le prix du pétrole reposaient sur un cours moyen du Brent de 98,5 dollars le baril. Or, de janvier à juin 2014, le cours moyen du Brent est compris entre 107,6 et 109,2 dollars US. Mieux, les prévisions pour l’année 2014 sont toutes supérieures à 106 dollars US. Qu’est-ce qui peut donc justifier un tel revirement ? D’où proviendront les ressources qui financeront ce budget rectificatif ? Quelle est leur ventilation ?
Au-delà des 270 milliards de financement extérieurs, l’on s’interroge encore sur l’origine des 2684,6 milliards de francs CFA alloués aux projets d’investissement. Pourquoi les dépenses en capital perdent 94,1 milliards, passant de 364,1 à 270 milliards ? Quels sont les projets concernés par ces 695,1 milliards de francs CFA d’annulation de crédits d’investissement. Le Plan stratégique Gabon émergent (PSGE) a-t-il vécu ? Quelle est la part des ressources propres et quelle est la part des ressources d’emprunt ? Quelle est la contribution des différentes natures d’impôts et taxes (Impôt sur les sociétés, TVA, Douanes, etc.) ? Quelle est la part des revenus pétroliers ? Autant d’éléments qui devraient permettre d’apprécier la pertinence et la sincérité de ce budget rectificatif mais au sujet desquels le gouvernement ne daigne piper mot. Et, ce ne sont pas les grèves à répétition qu’ont connues les régies financière suite à la décision de supprimer les fonds communs qui pourront justifier toutes ces zones d’ombre.
Retour à la réalité
Alors que l’opinion n’a de cesse de gloser sur les tensions de trésorerie et un assèchement des caisses de l’Etat, la question de la dette publique semble plus que jamais préoccupante. Passant de 550,6 milliards dans le budget initial à 594,3 milliards, soit une hausse de 43,6 milliards, elle suscite inquiétudes et interrogations. Comment expliquer cette hausse ? Y a-t-il eu variation importante des cours des devises ? Les des taux d’intérêts ont-ils été revus à la hausse ? Ou alors, la dette a tout simplement été renégociée sans que l’opinion n’en soit informée ? Comment expliquer qu’une charge que le gouvernement a toujours prétendu maîtriser en vienne à connaître une hausse subite de 8% ?
Il y a assurément quelque chose qui nécessiterait que l’Assemblée nationale fasse montre de davantage de sagacité et de pugnacité au moment des débats sur cette loi. D’autant que la masse salariale semble s’être envolée. Initialement arrêtée à 511 milliards de francs CFA, elle passe à 540,5 milliards de francs CFA, soit une augmentation de 29,5 milliards de francs CFA. Certes, le gouvernement laisse entendre que cet état de fait est imputable aux glissements catégoriels des agents de l’Etat et à la valorisation des salaires des agents des collectivités locales. Mais, nul n’ignore que les avancements automatiques d’échelon ou de grade sont inscrits dans le statut des fonctionnaires et devraient par conséquent être pris en compte dans le projet de loi de finances initial. Mieux, comment le gouvernement peut-il ignorer que les budgets des collectivités locales sont distincts du budget de l’Etat et qu’il est, de ce fait, inexact de dire que la valorisation des salaires des agents des collectivités locales ait un impact sur la masse salariale ? Si on ajoute les 40 milliards d’arriérés solde et les 100 milliards au titre de la PIP, malencontreusement inscrits dans la rubrique ‘’Prêts, avances et dépôts’’, on comprend que la masse salariale est désormais passée à 680,5 milliards de francs CFA et représente plus de 23% des charges de l’Etat. Doit-on rappeler qu’en 2009, la masse salariale était de 336 milliards et représentait 13,5 du total des charges de l’Etat ? Comment justifier qu’elle ait doublé en 5 ans ?
Un débat de fond, moins démagogique et moins idéologique, sur ce projet de loi des finances rectificative s’impose. On ne peut décemment accepter que le poste «Prêts, dépôts et avances» serve de fourre-tout, au point que des éléments de rémunération y côtoient la TVA qui, loin d’être une charge de l’Etat, n’est en réalité qu’une opération de trésorerie qui ne peut être comptabilisée dans le budget de l’Etat comme une charge. Pis, inscrire des arriérés de paiement dans le budget de l’Etat au titre de charge est un non-sens. Qu’est-ce que cela voudrait dire ?
Au regard du contenu de ce projet de loi des finances rectificative, il n’est guère osé de dire que le gouvernement s’expose, une fois de plus, à des procès en «amateurisme» ou en «incompétence». Sauf, bien entendu, si l’on admet qu’il s’agit plutôt de la fin des illusions et d’un retour brutal à la réalité. Le gouvernement n’a, en définitive, le choix qu’entre deux solutions : communiquer pour apporter des éléments de réponses techniquement vérifiables aux zones d’ombre constatées çà et là ou se murer dans le silence et laisser ainsi son crédit s’étioler. Il faut bien revenir à la réalité un jour….