Max Samuel Oboumadjogo, Ministre gabonais en charge de la Culture et des Arts, avait défendu le projet de loi portant statut des acteurs culturels au Gabon devant les Honorables députés. C’était le ce 27 avril 2023 au Palais Léon Mba de Libreville. (Intégralité du discours).
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,
Madame le Président de la Commission de la Santé, de l’Education, des Affaires Sociales et Culturelles,
Honorables Députés, Mesdames et Messieurs…
Merci de votre accueil dans cette maison du peuple représenté. Nous sommes ici dans le lieu de la mise en perspective des problèmes de nos concitoyens, dont chacun de vous porte le mandat.
A cette étape de nos travaux, nous avons, je l’espère, épuisé les principales préoccupations du texte de loi soumis à votre examen. Je propose donc humblement de vous en partager l’esprit, car comme vous le savez, la loi est un fait et l’esprit de la loi en est un autre. La complémentarité des deux crée une clarification rationnelle qui me semble fondamentale.
Unis dans la concorde et la fraternité
Éveille-toi Gabon
Une aurore se lève, encourage l’ardeur
Qui vibre et nous soulève
C’est enfin notre essor vers la félicité (bis)
Je sais que vous avez reconnu le refrain de La Concorde. Et sans esprit retors, je précise qu’il constitue un véritable chef d’œuvre.
Rappelez-moi que c’est Georges Damas Aleka qui a écrit l’hymne national du Gabon, et je ne pourrais m’empêcher d’ajouter qu’il l’a également composé. C’est donc un texte qui peut être lu, récité et chanté.
Si vous affirmiez que l’auteur-compositeur de notre chant patriotique fut une personnalité politique, je l’accepterais pleinement.
Cependant, vous me permettriez en retour de brandir la preuve que ce grand homme de notre histoire disposait également d’une sensibilité poétique indéniable, qui en faisait nécessairement un artiste.
Honorables Députés, reconnaissons qu’en toute occasion officielle, nous jouons et chantons notre hymne national, parfois mécaniquement, sans nous arrêter sur le sens profond des paroles, ni même sur leur beauté.
Profitant de ma présence devant vous, je voudrais avouer mon admiration pour toutes ces personnes qui, à une certaine époque, avaient tellement senti le Gabon vibrer en eux, qu’ils ont su le nommer, le chanter et le partager d’une génération à l’autre ; débordant ainsi nos petites querelles politiciennes, ethniques ou tribales.
C’est cette admiration - sous forme de gratitude éternelle - qui me pousse à m’arrêter sur la pertinence esthétique et la profondeur, tant spirituelle que sociétale, des paroles de La Concorde. Un hymne composé d’un refrain, qui est en réalité un quintile, rythmant quatre quatrains dont les vers sont des alexandrins. Qui dit mieux ?
Lorsque je prononce chacun des vers de La Concorde, syllabe par syllabe, non seulement je me sens transporté dans un ailleurs gabonais qui me réconcilie avec moi-même, mais de plus je me sens entièrement rempli des neuf sonorités du Gabon.
Je sens alors mon âme se régénérer, parce que baignée dans chaque fleuve qui traverse le Gabon, et donne son nom à une province de mon pays.
Oui, Honorables Députés, j’espère que - comme moi – vous sentez couler en vous l’Ogooué, qu’il soit Haut ou Moyen, qu’il s’associe à la Lolo, à l’Ivindo ou qu’il se confronte à la Mer.
J’espère vivement que vous êtes sensibles aux flots majestueux des fleuves Nyanga et Ngounié ; que comme moi, vous sentez la vigueur du Ntem et la grâce du Woleu irriguer nos veines ?
Soyons attentifs à la mélodie du Komo qui, tandis qu’il court se mêler à l’Atlantique, formant l’Estuaire du Gabon, tonifie l’accent de nos langues vernaculaires dont seuls les esprits avertis savent en déchiffrer les mystères.
Honorables Députés,
c’est ici à l’Assemblée Nationale que se condensent les rêves et aspirations du Peuple que vous représentez, conformément à l’esprit de notre hymne national, ainsi que le rappellent les deux premiers vers de son second quatrain :
« Oui, que le temps heureux rêvé par nos ancêtres
Arrive enfin chez nous, réjouisse les êtres ».
Honorables, avec votre permission, je dirais :
Oui, que le temps heureux rêvé par nos ancêtres
Arrive enfin chez nous, réjouisse les artistes.
Un brillant penseur du nom de Cicéron affirmait en son temps que « Le plus fructueux de tous les arts, c’est l’art de bien vivre ».
Par conséquent, les questions que je me permets de vous poser sont simples :
• L’artiste vit-il bien au Gabon ?
• Avez-vous le sentiment qu’une fois le rideau de sa célébrité folklorique baissé, l’artiste gabonais soit véritablement heureux de sa condition ?
Si votre réponse à ces questions est « oui », tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, applaudissez l’artiste, oubliez-le et passez à autre chose. Et accessoirement, pardonnez-moi d’être venu vous déranger ce jour.
Mais, si votre réponse consiste à reconnaître que l’artiste gabonais est un cas de conscience accablant pour nous tous, vous avez aujourd’hui, comme les Sénateurs il y a quelques semaines, la responsabilité de réconcilier les notions de talent, de mérite et de dignité dans la reconnaissance du travail des acteurs culturels.
Ils n’attendent pas l’aumône, ils la répugnent au contraire. Refusant foncièrement la pitié, les artistes et producteurs culturels gabonais craignent surtout que leur clap de fin ne les surprenne dans l’indigne précarité de leurs conditions de vie.
Oui, mesdames et messieurs, comme vous, comme nous tous, l’artiste et l’acteur culturel veulent participer, par leurs impôts, à l’effort de développement de l’économie nationale. Ils veulent souscrire à la sécurité sociale, disposer d’une retraite et assurer un capital décès à leurs progénitures.
Comme vous et moi, les acteurs culturels veulent prendre part à la vie du pays et s’y sentir utiles. Utiles pour eux-mêmes certes, utiles pour leurs familles également, utiles pour leur patrie surtout…
Peut-être avons-nous tendance à penser que nos artistes ne réclament que des droits. Non, croyez-moi ! Ils savent que les droits sont la réciproque des devoirs ; ils ne cherchent pas à être fonctionnarisés et sont conscients que le statut attendu ne constitue aucunement la panacée à tous leurs maux.
Dans tous les cas, nos acteurs culturels n’auront pas d’autre choix que d’être compétitifs, comme l’exige l’exercice d’un métier libéral.
Mesdames et messieurs,
Je porte aujourd’hui la voix des acteurs culturels, c’est à dire une partie du peuple qui m’a d’ailleurs explicitement chargé d’insister sur cet état de fait :
Nos artistes ne veulent plus être des citoyens entièrement à part, mais plutôt des citoyens à part entière.
C’est pourquoi, j’oserai une dernière question rhétorique à laquelle j’invite chacun de nous à répondre au plus profond de soi-même, en toute objectivité :
Partant de la vie que mène l’artiste au Gabon, quelle idée le monde devrait-il se faire de l’homme gabonais ?
« Oui, que le temps heureux rêvé par nos ancêtres
Arrive enfin chez nous, réjouisse les êtres ».
Oui, que le temps heureux rêvé par nos ancêtres
Arrive enfin chez nous, réjouisse les artistes
Comme le dirait aujourd’hui Georges Damas Aleka.
Je vous remercie.
Max Samuel OBOUMADJOGO
Ministre de la Culture et des Arts