Figurant parmi les commissaires à la Concertation politique ouverte le 13 février, le président honoraire des ‘Démocrates’, Séraphin Akuré-Davain, s’épanche avec Gabonreview sur les aspects les plus commentés de ladite grand-messe : le retard au démarrage des travaux, les attentes, les atermoiements autour de la liste des participants de l’opposition, les lignes directives fixées par le chef de l’État et la non-participation de la société civile. Il invite à être un peu plus «sérieux». «Ce n’est pas en faisant élire le chef de l’État par le Parlement que le Gabon va estimer qu’on fait des économies», laisse-t-il entendre dans l’entretien ci-dessous.
Gabonreview : Comment se déroulent les travaux de la Concertation lancée le 13 février par le chef de l’Etat ?
Séraphin Akuré-Davain : Au-delà de la cérémonie d’ouverture présidée par le chef de l’État, les travaux n’ont pas, à proprement parler, commencé. Ils devaient commencer le lendemain (le 14 février – ndlr), mais l’opposition gabonaise a eu du mal à constituer sa délégation qui, au départ, était prévue pour 30 participants. Devant la difficulté de confection de cette liste de participants, le gouvernement a procédé à l’augmentation, de 30 à 40 personnes de personnes pour chaque camp, devant prendre part aux travaux. Sauf qu’avec, approximativement, près de 70 partis dans l’opposition, il a été difficile de mettre 30 partis de côté pour composer une délégation uniquement de 40 personnes. On comprend aisément que l’opposition n’a pas pu être présente et du coup, les travaux de cette Concertation n’ont pas commencé.
Que change-t-il donc que de porter à 40 le nombre des délégués de l’opposition, vu que cette catégorie compte plus d’une soixantaine de formations politiques ?
On augmente le nombre de représentants, mais le problème reste entier. Il y a toujours à peu près plus d’une vingtaine de partis exclus. Vous savez que le ministère de l’Intérieur a légalisé près d’une centaine de partis et ils ont pris part à la cérémonie d’ouverture. Or, ils sont désormais exclus de cette Concertation politique. Toute la difficulté est là.
Dans le discours d’ouverture du président de la République, il est certes question de travailler pour des lendemains électoraux apaisés. Mais, on l’a également entendu évoquer le coût dispendieux des élections. Ne pressentez-vous pas l’inoculation d’une idée visant à ramener l’élection à un seul tour, ainsi que le croient certains analystes, ou à faire élire le président de la République par le Parlement, puisqu’il est question d’économiser des moyens financiers ?
L’ordre du jour ne nous a pas encore été clairement donné. C’est toujours difficile de travailler sur des hypothèses. Il est préférable d’attendre que les travaux débutent. Pour ne pas biaiser, faire élire le président par les députés ou par les parlementaires consisterait donc à soustraire le président de la République du suffrage universel direct. Cela le ramène à être élu au suffrage indirect puisque les députés et les sénateurs seraient les grands électeurs. Je pense que cela ferait perdre au chef de l’État une grande partie de sa légitimité. Je ne suis pas sûr que cela correspondrait à la vision que les Gabonais se font de l’élection présidentielle. Personnellement, sans préjuger des travaux, c’est une disposition qui serait mal venue.
Le discours du chef de l’État en ouverture des travaux ne réoriente-t-il pas l’objectif originel de cette rencontre ? Il a par exemple énoncé le souhait d’harmoniser les mandats électoraux.
Il ne faut pas être dupe. Si le pouvoir a accepté cette Concertation, c’est parce que lui aussi y trouve un intérêt et peut-être y glisser des dispositions qui l’arrange. Sur l’harmonisation des mandats, cela me parait, à mon avis, un souci de cohérence auquel nous pouvons adhérer. C’est mon point de vue, mais pas le point de vue des autres commissaires. Je parle en mon nom propre. Ce qui veut dire que cela n’engage ni mon parti, ni la Concertation.
Il est important de le dire, parce qu’après la déformation dans l’interprétation risque d’amener à donner un point de vue qui n’a pas été énoncé. Cela ne me gêne pas qu’il y a une harmonisation des mandats. C’est au contraire une bonne chose. Parce qu’on avait une superposition entre le Sénat et l’Assemblée nationale qui faisait qu’à un moment donné, les sénateurs n’étaient plus ceux qui avaient été élus par les bureaux locaux puisqu’ils avaient déjà été changés. Voyez-vous, il y a un véritable besoin de cohérence. Il faut effectivement harmoniser.
Pour revenir au coût qu’engendre l’élection présidentielle, il faut que nous soyons sérieux. Nous sommes dans un pays qui jette son argent par la fenêtre. Ce n’est pas en faisant élire le chef de l’État par le parlement que le Gabon va estimer qu’on fait des économies. Je pense que cette excuse ou cette explication n’est pas recevable.
Que pensez-vous de la mise à l’écart de la Société civile pour cette rencontre ? Il vrai que le Président a annoncé un prochain forum sur les questions économiques et sociales ouvert à toutes les forces vives de la Nation ?
Il faut prendre en compte le point de vue de la société civile. Encore faut-il que cette dernière soit organisée. C’est quoi la société civile ? C’est nous tous. Alors, le système de la représentation c’est pour mettre de l’ordre. Faire une Concertation avec toute la société civile, si cette dernière n’est pas organisée, donnera lieu à un véritable capharnaüm. Je pense que le point de vue de la société civile est fondamental. On ne peut pas ne pas en tenir compte. C’est ce qu’on appelle aussi les opinions publiques. C’est-à-dire ce que pensent les Gabonais d’une manière générale. Il est nécessaire de les organiser. En ce moment, si cette société civile organisée doit prendre part à des débats, pourquoi pas ? Mais, il faut savoir que nous avons affaire à un débat politique qui se passe entre des partis politiques. Et très souvent, pour des questions sociétales, je crois que recueillir le point de la société civile est, j’ai même envie de dire, obligatoire. Mais pour certaines questions, c’est peut-être mieux de circonscrire ces négociations aux partis politiques.
Si on vous demandait à vous, leader politique, leader d’opinion, ce que vous attendez exactement de cette concertation, que diriez-vous ?
Il faut savoir que l’opposition gabonaise a été demandeuse, si je peux m’exprimer ainsi. Nous avons souhaité que cette concertation ait lieu pourquoi ? Pour faire avancer le processus électoral qui, pour nous, en certains points pose quelques soucis. Nous avons pensé qu’ensemble, c’est-à-dire la Majorité et l’Opposition, nous pouvions améliorer ce processus. Ce sont ces dispositions électorales que nous souhaitons voir avancer.
Je vous prends un seul exemple : le découpage électoral. Lorsque vous regardez comment sont élus les députés chez nous, il y a des sièges où il y a très peu d’électeurs et il y a des sièges qui sont particulièrement grands, particulièrement fournis. On a donc des députés qui, quelque part, vont être élus avec 3000 électeurs alors qu’ailleurs, ce sera 15.000 électeurs. Je pense qu’il est nécessaire d’harmoniser cela. C’est un seul exemple que je prends, mais il y en a d’autres.
De cette concertation, nous attendons une amélioration et un processus électorale accepté par tous. Je crois aussi que nous allons essayer de voir des questions qui ne sont pas directement liées au processus électoral même si le chef de l’État a bien circonscrit le domaine de définition. Je prendrais de la représentativité de l’opposition. Le système est bloqué parce que nous n’avons pas organisé l’Opposition. Ailleurs, l’opposition est organisée. Il y a des critères pour légaliser un parti, pour être reconnu parti de l’Opposition. Et il y a une organisation de cette Opposition avec un responsable qui peut présenter un argumentaire cohérent. C’est tout ça que nous souhaitons introduire dans l’ordre du jour.