Poursuivi en justice depuis plus de trois ans pour «diffamation» par le conseiller à la présidence de la République, par ailleurs sociétaire du satirique «La Griffe», Raphaël Ntoutoume Nkoghé, le directeur de l’hebdomadaire «Le Mbandja», Guy Pierre Biteghé, livre sa version des faits au sortir de l’audience du 24 juin 2014.
Gabonreview : Raphaël Ntoutoume Nkoghé a été votre ami et partenaire. Qu’est-ce qui a bien pu brouiller votre relation au point de vous conduire devant les tribunaux ?
Guy Pierre Biteghé : Condamné à huit (8) mois en 1997, Raphaël Ntoutoume Nkoghé rentre de son exil au Cameroun en 2002 grâce à la magnanimité du régime de l’époque. Mais, il se trouve dans l’impossibilité d’écrire puisqu’en plus de la sanction pénale, il y avait une sanction professionnelle infligée par le Conseil national de la communication (CNC). Il se rapproche donc de Désiré Ename d’Échos du nord pour lui demander si ce dernier peut lui servir de prête-nom. Lorsque Désiré me présente à lui, les yeux fermés j’accepte de travailler avec lui parce que ne comprenant pas pourquoi il était devenu un pestiféré que tout le monde fuyait et contre qui d’autres écrivaient même à l’époque. C’est comme ça que va être créé le journal «Gabaon» avec l’appui de Jean Romain Fanguinoveny.
Entre-temps, j’ai eu des problèmes avec feu Georges Rawiri, le défunt président du Sénat. Sur cette affaire, Raphaël fera même un papier dans «Gabaon». Bien entendu, estimant que le papier était de moi, Georges Rawiri fera interdire le journal. Mais, au regard des liens entre les Fanguinoveny et les Rawiri, une négociation sera entamée. Elle aboutira au retour du journal, à la condition que je n’y exerce plus. Informé de cela, Raphaël fera corps avec moi, estimant que je ne pouvais pas partir seul. Nous avons donc quitté «Gabaon» à deux.
Après «Gabaon», je crée le journal «La Sagaie». Raphael reprend sa plume et se met à tirer à boulets rouges sur le régime. Puis, je suis reçu par le chef de l’État, Omar Bongo Ondimba, qui attire mon attention sur ma présence aux côtés de Raphaël. A deux reprises, il me dira : «Attention, celui-là te créera des problèmes». Il ne croyait pas si bien dire parce qu’à un moment les papiers étaient tellement durs que le régime en toute illégalité se trouvera obligé d’interdire la parution du journal parce qu’il n’y a pas de loi qui interdit la publication des journaux.
Sans me décourager, je trompe la vigilance du pouvoir et je créé un autre journal «Gabon show». Lorsqu’Omar Bongo se rend compte que j’ai créé un autre journal avec Raphaël qui continue à tirer sur le régime, il le ferme à nouveau. Des négociations directes s’ouvrent ainsi, à mon insu, avec Raphaël. Elles aboutissent à un accord aux termes duquel Raphaël reçoit beaucoup d’argent du chef de l’État et en contrepartie, nous devions travailler pour lui au journal «Le Miroir» avec pour responsable Laure Olga Gondjout. Mais, très vite, des problèmes apparaissent entre cette dernière et lui, le journal ferme et chacun reprend son indépendance. N’ayant plus de tribune pour nous exprimer nous arrivons à récupérer le journal «Le crocodile». Bien entendu, Raphaël tire de nouveau sur les collaborateurs d’Omar Bongo, y compris Rawiri qui, toujours convaincu que c’était moi, exige la fermeture du titre qui est, en réalité, la propriété de Wilfried Okumba, un jeune compatriote originaire du Haut-Ogooué.
Saisi de la question et, sans doute, par repli identitaire, Omar Bongo demande à Georges Rawiri ce qu’il reproche à ce titre. Sur ces entrefaites, Georges Rawiri décide de me recevoir et à la suite de notre rencontre, il accepte de lever la sanction qui pesait sur moi. Ainsi va naître le journal le «Mbandja». À la création du journal, j’ai fait état à mon partenaire et nous avons repris à travailler tous les deux dans ce journal où il était le conseiller à la rédaction. Entre-temps il sera nommé conseiller spécial du chef de l’État chargé de la communication. Dès lors, il ne pouvait plus apparaître dans le journal. Il se fera alors représenter par son frère cadet, un certain Hugues Laffont Nguema Bekale, l’actuel prétendu directeur de publication du journal «La Griffe», mais il continuera quand même à y écrire jusqu’en 2010 où il se lancera dans des articles de règlement de comptes vis-à-vis de certaines personnalités. Ces articles gênent d’autant plus que soit les documents proviennent de la présidence soit ils contiennent trop de mensonges. Ainsi commence une vague de procès dont celui contre «Idées 2000» au terme duquel nous sommes condamnés à verser 3,5 millions à cette entreprise, en sus des 3 millions de dommages. Non seulement Raphaël ne débourse pas un rond, mais il ne vient même pas me soutenir au tribunal alors que c’est lui qui a écrit l’article incriminé. Je laisse passer car c’est un grand frère, on continue à travailler ensemble.
Quelques temps plus tard, il se lancera à faire des articles contre l’ancien ministre Julien Nkoghé Békalé. Voulant recouper les informations, je prends contact avec le conseiller en communication du ministre, qui m’introduit chez le ministre qui me livrera sa part de vérité. Deux mois après, affirmant que son information lui vient directement du président de la République, Raphaël envoie un autre papier dans lequel il accuse le ministre d’avoir détourné plus de 2 milliards. Voulant recouper l’information, je vais voir le ministre pour savoir de quoi il retourne. Je me rends ainsi compte qu’il s’agit d’un problème de famille. Dès lors, Raphaël se répand partout sur moi, affirmant que j’ai été acheté à 15 millions.
Entre-temps, il crée ses journaux «La Griffe», le «Gri Gri», le «Douk Douk» qu’il fera fusionner avec le «Scribouillard» et le «Soleil». Mais à chaque parution d’un des journaux c’est mon nom et celui de Julien qui apparaissent. L’idée de porter plainte m’a traversé un moment, mais il se trouvait que des amis communs dont Ngoyo Moussavou et son beau-frère Mesmin Youmou vont m’en dissuader. Il ne me resterait plus qu’à répondre à ses attaques dans mon journal. Il se trouve qu’il m’avait présenté à Télesphore Obame Ngomo qui connaissait une partie de sa vie privée et lorsque Raphaël l’a attaqué en le présentant comme un homosexuel, l’autre a répondu en disant: «Toi aussi tu es un homosexuel puisque tu sortais avec l’ancien ambassadeur de France au Gabon, un certain Jean Pierre Courtois et que cela se passait au 5e étage de l’hôtel intercontinental où vous vous retrouviez». C’est cette partie-là qui fera mal à Raphaël et comme il ne pouvait pas répondre à son antagoniste, il ira porter plainte non pas contre l’article de Télesphore Ngomo mais plutôt sur un article de 2011 où je déclarais qu’Ali Bongo Ondimba l’avait acheté avec l’argent du pétrole. Voilà ce qui va l’amener à porter plainte contre moi.
Si l’on se réfère à l’année de la plainte qui est de 2011, selon vous pourquoi ce n’est que maintenant que s’ouvre le procès ?
Il se trouve qu’en 2011 lorsqu’il porte plainte, le tribunal pour des raisons que j’ignore, fera trainer l’affaire. C’est à ce moment que j’ai compris que le tribunal était acquis à sa cause parce qu’à chaque fois que l’affaire a été appelé, je répondais toujours présent. Mais le 24 juin 2014 à l’audience, le tribunal dira que si l’affaire a trainé c’est parce qu’ils ne savaient pas où nous trouver. Ce qui est faux parce que nous étions toujours là et avions reçu la citation directe au siège du journal. Et le procureur a également dit que je suis un récidiviste en se référant à l’affaire de «Idées 2000». Or, lors de ce procès, le directeur de la publication était l’actuel directeur de la publication de «La Griffe» Hugues Laffont Nguema Békalé. Donc c’est lui qui est poursuivi, mais je me suis présenté à la barre pour assumer la propriété du journal et non en tant que directeur de publication. Et celui qui est également poursuivi est Raphaël Ntoutoume Nkoghé même s’il n’a pas signé de son nom mais en tant qu’auteur de l’article. Donc on ne peut pas dire que Guy Pierre Biteghé propriétaire du journal à l’époque est un récidiviste puisque la condamnation ne le concerne pas, cela concernait le journal le «Mbandja».
Quelle a été votre ligne de défense à l’audience du 24 juin ?
Nous avons eu deux lignes de défense. La première a consisté à démontrer que nos articles consistaient à répondre à des attaques de Raphaël. Le tribunal nous a rétorqué qu’il ne fallait pas répondre, mais qu’il fallait plutôt porter plainte. Nous avons démontré que Raphaël n’est pas pour nous un inconnu et que si nous n’avions pas porté plainte c’est parce que d’autres personnes m’ont demandé de ne pas faire cela. La seconde ligne de défense était de faire la démonstration que ces articles ne venaient qu’en réaction aux attaques de Raphaël lui. Et ce n’étaient pas des attaques de mauvaise foi.
Quelle issue entrevoyez-vous pour la suite des évènements ?
Pour le futur, lorsqu’on voit comment le procès a été mené, on ne se fait pas d’illusion, la condamnation tombera. Le procureur a requis un an d’emprisonnement ferme, ce qui représentera la peine la plus lourde après celle de 8 mois qui frappe Raphaël lui même, et qui n’a jamais été purgée. En plus de cela il a demandé 100 millions de dommages et intérêts pour une affaire qu’il a provoquée lui-même.
Le verdict de cette guéguerre entre confrère et ancien frère d’armes est attendu pour le lundi 30 juin prochain.