Si elles veulent faire entendre leurs aspirations, les populations disposent d’une seule option : l’usage du droit au contrôle citoyen de l’action publique. Peu importe les frustrations ou déceptions recuites.
Des souvenirs hantent les esprits. Des rendez-vous manqués et opportunités gâchées se rappellent aux gens. Dans les salons feutrés comme sur les réseaux sociaux, les mêmes questions reviennent, inoculant le doute. Traçant des parallèles quelque peu hâtifs, nombre d’observateurs affichent leur scepticisme. Se remémorant des Accords de Paris, des Accords d’Arambo ou du Dialogue d’Angondjè, ils alimentent la suspicion, pointant un doigt accusateur vers l’opposition, accusée tantôt de naïveté tantôt d’opportunisme. Même si personne n’en connait le format et le contenu détaillé, d’aucuns l’affirment avec force : la «rencontre» politique voulue par Ali Bongo ne posera jamais les bases de «scrutins au lendemain apaisé». Bien au contraire. Elle virera en jeu de dupes et se soldera inévitablement par un «partage du gâteau», prélude au maintien voire au renforcement du statu quo.
Ne pas se morfondre ou jouer les Cassandre
Pourtant, cette initiative reste à préciser. Sur les résultats attendus, comme sur son statut, ses modalités d’organisation, la nature des participants, le déroulement des séances ou les sujets à débattre, rien n’a encore été dit. Ali Bongo a certes affirmé avoir «entendu l’appel de (ses) compatriotes, notamment des acteurs politiques de la majorité et de l’opposition.» Mais il ne s’est guère étendu. Comme s’il lançait une idée à la cantonade, il n’a pas désigné de responsable de la mise en œuvre. Du coup, toute déduction semble à la fois hâtive et décalée. Au lieu de tracer des plans sur la comète, il faut mettre les choses en perspective. Après tout, la transparence électorale a été au centre des préoccupations, tout au long de l’année écoulée. A l’exception notable du Parti démocratique gabonais (PDG), les acteurs politiques et animateurs de l’espace civique ont fait connaître leurs propositions.
Si elles veulent faire entendre leurs aspirations, les populations disposent d’une seule option : l’usage du droit au contrôle citoyen de l’action publique. Peu importe les frustrations ou déceptions recuites, elles gagneraient à avancer leurs idées pour mieux pousser à la roue. Eu égard à l’expérience du passé, personne n’a intérêt à se poser en spectateur ou à se reposer sur autrui. Au vu des enjeux, chacun doit faire valoir ce principe à valeur constitutionnelle : la participation directe à la direction des affaires publiques. Et pour cause : de la réussite de cette «rencontre» dépendra la crédibilité des futures élections : présidentielle, législatives, locales et sénatoriales. De leurs résultats, découlera la destinée du pays et de chaque citoyen. De cela, il faut se souvenir et ne pas se morfondre ou jouer les Cassandre.
S’assurer de la mise en œuvre effective des résolutions
Dans l’esprit de citoyens jouissant de leurs droits civils et politiques, l’attentisme ne doit pas supplanter l’engagement individuel. La résignation ne doit pas tuer l’espérance. Dans les jours à venir, chacun devra faire entendre sa petite musique. Les idées devront s’échanger, se choquer et s’entrechoquer. Faut-il songer à un comité préparatoire ? Avec quelle composition ? Qui pour le présider ? Qui pour faciliter les débats ? La discussion doit-elle se limiter aux seuls partis politiques ou faut-il l’ouvrir à la société civile, y compris les confessions religieuses ? Faudra-t-il limiter les échanges à la transparence électorale ou les étendre aux questions de gouvernance politique et économique ? Comment s’assurer de la mise en œuvre effective des résolutions ? Sur tous ces aspects, chacun devra donner un avis.
En effet, les réserves et sarcasmes entendus çà et là ne procèdent ni de la mauvaise foi ni de l’ignorance. Ils prennent racines dans la persistance de comportements connus de tous : manquement à la parole donnée et primat de l’intérêt personnel. Entre un pouvoir prompt à renier ses engagements et une certaine opposition prête à toutes les compromissions, l’intérêt général a trop souvent été oublié. N’empêche, ces errements ne sauraient être tenus pour une fatalité. Déjà, de nombreux acteurs y sont allés de leurs préventions : Paulette Missambo a invité ses «interlocuteurs (à faire) preuve de sincérité, de responsabilité et de courage» ; Thierry d’Argendieu Kombila a souhaité l’implication du bureau régional des Nations-unies, invitant la société civile à «verser sa contribution» au débat. Quand bien même le PDG semble la galvauder, l’idée d’un «dialogue inclusif» fait son chemin. Pour ainsi dire, ces pourparlers devront s’ouvrir à l’ensemble de la société et non pas aux seuls partis politiques. Autrement, l’appel d’Ali Bongo pourrait avoir le destin d’une bouteille à la mer.