Face à la nation, le président de la République a parlé de PIB et de finance carbone, faisant peu de cas des conditions de vie des populations.
Autocélébration, toujours et encore. Devant le congrès du Parti démocratique gabonais (PDG) comme devant la nation, Ali Bongo n’en démord pas, balayant d’un revers de main toute critique pour mieux vanter ses «réussites» ou proclamer sa volonté d’«aller plus loin, beaucoup plus loin». Face à ses coreligionnaires, il avait laissé le sentiment de se bunkériser et d’être au service exclusif d’intérêts partisans et privés. Face à la nation, le président de la République a donné l’impression d’être avant tout préoccupé par les avis de la communauté internationale voire de courir après leur reconnaissance, quitte à se satisfaire d’agrégats économiques strictement quantitatifs ou à valider des concepts aux effets néfastes pourtant identifiés. Et tant pis si le Produit intérieur brut (PIB) ne traduit pas toujours la qualité de vie des populations ! Tant pis si la finance carbone peut avoir des effets pervers sur leur mode de vie !
Autosatisfecit, humilité feinte
Les vœux de Nouvel an d’Ali Bongo n’ont visiblement pas offert au peuple gabonais des raisons d’espérer. Ils ne lui ont pas non plus permis de croire en une éventuelle amélioration de ses conditions de vie. Bien au contraire. De par leurs accents de déjà-entendu, ils ont renforcé le pessimisme. Un taux de croissance à 3% ? Quel intérêt quand des emplois marchands sont détruits, quand le système de protection sociale est au bord de l’asphyxie, quand les hôpitaux manquent de tout ou quand l’école est en faillite ? La «position du Gabon» dans la lutte contre le réchauffement climatique ? Quel apport pour le citoyen lambda ? A maints égards, cette antienne semble contreproductive, les populations ayant le sentiment d’être sacrifiées sur l’autel d’intérêts inavoués. L’adhésion au Commonwealth ? On en cherche toujours les retombées.
Certes, Ali Bongo s’est défendu de se «glorifier» ou de se «satisfaire» de toutes «ces avancées» supposées. Certes, il a dit vouloir «considérer, sans détour ni complaisance, mais en toute objectivité les œuvres réalisées et les acquis.» Mais ni cet autosatisfecit ni cette humilité feinte ne peuvent faire oublier l’état du pays. Ni l’un ni l’autre ne doivent nous éloigner des préoccupations des populations. Au-delà des indicateurs, toute politique économique doit viser l’amélioration de leurs conditions de vie. Si elle doit contribuer au rayonnement international du pays, toute politique étrangère doit reposer sur la recherche d’un mieux-être partagé. En aucun cas, elle ne doit conduire les uns à payer pour les fautes des autres. Ces principes, il faut les rappeler, partout et en toute circonstance.
Un tout au regard sur la situation
Les politiques publiques n’ont pas but de se conformer à des agrégats économiques. Elles ne visent pas non plus à satisfaire les intérêts de la communauté internationale. Encore moins de contrebalancer un déficit de légitimité démocratique. Comme partout dans le monde, elles ont des objectifs bien connus : amélioration des conditions de vie et mieux-être partagé. Or, ces objectifs ne peuvent être atteints quand les dirigeants se ferment à toute critique, refusent d’entendre les gouvernés pour se mettre au service de causes à portée internationale. Certes, le PIB mesure l’activité économique. Il est certainement un bon indicateur de situation. Mais il ne dit rien sur les inégalités sociales ou leur évolution. Quant à la finance carbone, elle trop orientée, trop directive, pour générer des flux de liquidités. Mieux, dans la lutte contre le réchauffement climatique et l’érosion de la biodiversité, un principe doit être au centre de toute stratégie : le respect des droits fondamentaux de la personne humaine.
S’il avait voulu tracer des perspectives réalistes, Ali Bongo aurait dressé un bilan de son action en tenant compte de trois éléments : le fonctionnement et l’accès aux services publics, les relations entre personnes et biens, et le mécanisme de redistribution de la richesse nationale. Vu sous ces angles, il aurait peut-être posé un tout au regard sur la situation. Comme le laissent croire de nombreux témoignages, ni l’école ni l’hôpital ni les infrastructures de transport ou de communication ne donnent satisfaction à ce jour. Comme en attestent les nombreux litiges fonciers, le régime de propriété est lacunaire et aléatoire, son application étant de la responsabilité d’une justice aux ordres. Comme le prouvent les déboires de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), le régime de protection sociale est en déséquilibre structurel. Quant au marché du travail, il se caractérise par un chômage élevé et en constante hausse. Pour espérer aller «beaucoup plus loin», il faut s’attaquer à ces questions avec froideur et rigueur mais, loin de toute arrière-pensée politicienne.