Le Rassemblement pour la modernité, parti d’opposition présidé par Alexandre Barro Chambrier, tient depuis vendredi et jusqu’à dimanche son premier congrès. Parmi les invités de marque, Paul-Marie Gondjout, qui incarne l’aile dissidente de l’UN. Ce qui n’a pas eu l’heur de plaire à la présidente officielle du parti, Paulette Missambo.
La guerre pichrocholine au sein de l’opposition se poursuit. Plus que jamais.
Alors qu’officiellement, l’humeur est à « l’union », les observateurs les plus avertis, eux, ne s’y trompent pas. C’est bien la course au leadership au sein de l’opposition qui s’est accélérée ces derniers jours. Avec pour enjeu principal de ravir le statut de candidat, sinon unique, à tout le moins principal, de cette famille politique en vue de la présidentielle prévue en 2023.
Une semaine seulement après la tenue du Congrès de l’Union nationale (lire notre article), c’est à une autre formation de l’opposition de se livrer au même exercice : le Rassemblement pour la modernité (RPM) qui tient son congrès ce weekend, les 3 et 4 décembre. Comme si les deux formations pratiquaient le « marquage à la culotte » pour reprendre une métaphore footballistique.
Entre les deux présidents de ces formations, un jeu subtile s’est installé. C’est à celui qui incarnera le mieux l’union. Pour ce faire, Paulette Missambo compte sur ses déclarations (d’aucuns diront incantations) et sur des ralliements, encore timides à cette heure. Seul Réagir, une toute jeune formation sans aucun élu y a répondu favorablement.
Du côté d’Alexandre Barro Chambrier, on a senti le piège (ne surtout pas apparaître publiquement comme celui qui refuse l’union) et on joue le jeu. « Il s’agit de répondre positivement aux appels à l’union de l’opposition, d’où qu’ils viennent. Reste ensuite à déterminer qui est le mieux placée pour l’incarner », prévient un des lieutenants d’ABC. Suite aux déclarations dimanche dernier de Paulette Missambo, le président du RPM s’est d’ailleurs empressé d’afficher sa bonne disposition. Il s’est dit « en phase » avec l’invite de son homologue de l’UN, ajoutant qu’il faut « une alliance saine, objective, car le pouvoir compte sur nos divisions. »
Barro Chambrier ne compte pas se ranger derrière Missambo, et inversement
Preuve que le président du Rassemblement pour la patrie et la modernité ne compte pas se ranger derrière Paulette Missambo, celui-ci a convié à son congrès Paul-Marie Gondjout, le grand rival de Missambo, qui lui conteste de fait le leadership de l’UN. Le 13 novembre 2021, au terme d’un scrutin très controversé, Missambo n’avait été élue à la présidente du parti que par une seule petite voix d’écart (sur 642 votants). Depuis, POG, qui est le beau-fils du fondateur du parti, Zacharie Myboto, a décidé de mener sa propre barque en créant son propre courant qui a fini par donner naissance à un véritable parti, l’Union nationale initiale (UNI).
Pour les proches de Paulette Missambo, l’invitation de son rival au congrès du RPM est perçue, plus comme un pied-de-nez, comme une déclaration de guerre. « Barro Chambrier prétend vouloir faire l’union et, en même temps, il invite à son congrès quelqu’un qui, matin, midi et soir, n’a de cesse de nous diviser et de nous critiquer ? C’est une blague », peste un des lieutenants de la présidente de l’UN.
Installer un duel pour écarter les autres prétendants
Si Barro Chambrier et Missambo se rêvent en candidat principal de l’opposition pour 2023, les choses pour l’un comme pour l’autre, sont cependant loin d’être jouées. « Le président du RPM et celui de l’UN ont entrepris d’installer un duel comme pour montrer que le match pour incarner le leadership au sein de l’opposition se jouera entre les deux et écarter ainsi les autres », analyse un professeur en science politique de l’UOB. « Mais », prévient-il, « en pareil cas de figure, c’est souvent un troisième homme ou femme qui s’impose. C’est d’autant plus plausible que, contrairement à 2016 où Ping faisait la quasi-unanimité dans son camp, c’est loin d’être le cas cette fois-ci ».
En effet, jusqu’à présent, tant Missambo que Barro Chambrier « sont perçus comme des cheveux légers de l’opposition », explique un analyste. « Aucun n’a le poids politique d’un Ping. » Par ailleurs, leur parcours pourrait également ne pas plaider en leur faveur. « Ils appellent à l’alternance, disent incarner le renouveau mais tous deux sont des apparatchiks de l’ancien régime », raille un responsable du PDG, le parti majoritaire. De fait, Paulette Missambo a été plusieurs fois ministres (de l’Education, de la Santé) sous Omar Bongo Ondimba. Quant à Barro Chambrier, il est issu d’une grande famille dont l’engagement s’est inscrit au sein du parti au pouvoir. Lui-même a prospéré politiquement sous l’ancien président avant d’être nommé ministre (délégué à l’Economie, au Pétrole) durant le premier mandat du président Ali Bongo Ondimba.
Un troisième homme ou femme sortira-t-il du bois ?
Par ailleurs, comme le rappelle le professeur en science politique de l’UOB, Missambo et Barro Chambrier auraient tort d’écarter d’emblée les autres concurrents. « Ping observe et ne dit pas grand-chose même s’il a rencontré Barro Chambrier cette semaine. Nzouba-Ndama voit d’un très mauvais œil le fait que Missambo et Barro Chambrier accélèrent la course au leadership pour 2023 au moment où il est empêtré dans des ennuis judiciaires. Selon lui, le timing n’est pas anodin », fait observer l’universitaire. « Et puis, il y a d’autres candidats comme Mike Jocktane ou Paul-Marie Gondjout qui pourraient venir jouer les trouble-fêtes », ajoutent-ils.
La partie est donc loin d’être gagnée pour les prétendants duellistes de l’opposition gabonaise. Quel que soit celui qui ressortira vainqueur de ce duel fratricide, il devra sans doute se contenter de la seconde ou de la troisième place. Car, les observateurs les plus avertis de la vie politique gabonaise le savent, les clés du scrutin présidentiel de 2023 ne se trouvent pas dans les mains de l’opposition, mais dans celles du Parti démocratique gabonais (PDG), présidé par un certain Ali Bongo Ondimba.