En ce mois d’octobre 2022, pour la première fois de son histoire et pour quatre semaines à compter de ce jeudi, le Gabon préside le Conseil de sécurité de l’ONU. Il succède à la France qui a assumé cette fonction tournante durant le mois de septembre. La présidence du Conseil est assurée par chacun des membres à tour de rôle pendant un mois suivant l’ordre alphabétique anglais des noms des États membres. Voici le premier discours fait par le Gabon à cette occasion par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Michaël Moussa Adamo. Celui-ci porte sur le renforcement de la lutte contre le financement des groupes armés et terroristes par le trafic illicite des ressources naturelles en Afrique.
Je remercie le directeur de l’ONUDC, Mme Ghada Fathi Waly et le commissaire à la Paix et la sécurité de l’Union africaine, M. Bankole pour leurs exposés édifiants.
La cartographie des groupes armés met en évidence le lien manifeste entre leur déploiement et la mainmise sur les ressources naturelles.
L’exploitation illicite des ressources naturelles qu’elles soient biologiques ou minérales est au côté du trafic des êtres humains, des enlèvements contre rançon et du trafic de drogue, une source majeure de financement des groupes armés et terroristes.
Il est indéniable que les richesses naturelles, essentiellement du sol et du sous-sol, nourrissent le financement des conflits tout en étant l’un des principaux enjeux.
Le continent africain regorge d’innombrable ressources naturelles. Ces ressources qui font la fierté du continent sont malheureusement au cœur d’un trafic bien organisé qui contribue à semer la terreur au sein de nos villes et villages au centre desquels, les populations, de manière indiscriminée subissent les atrocités.
Un nouveau commerce triangulaire, illégal, relie l’Afrique exportatrice de matières premières, aux pays exportateurs d’armes et de mercenaires, à travers des pays offrant des montages financiers parallèles.
Par ailleurs, les groupes armés et terroristes ont, pour mieux se financer, progressivement mis en place des circuits d’approvisionnements en ressources multiformes. Des économies souterraines du crime se sont ainsi constituées dans certaines parties de territoires des États et des zones transfrontalières.
Par la prédation des ressources naturelles, les conflits s’auto-entretiennent. Les rentes minières permettent l’achat d’armes et le recrutement de miliciens. Une économie militaire et criminelle s’organise autour des espèces sauvages de faune et de flore, des filières du coltan, de l’or et de l’étain, et autour du travail des enfants. Cette économie parallèle est dirigée par des militaires ou sociétés de sécurité, acheteurs et courtiers, exportateurs clandestins, avec des ramifications régionales et internationales.
Chers collègues,
Ce Conseil doit se saisir, au-delà du présent débat, de cette alarmante situation dont sont victimes plusieurs régions du continent africain, et y apporter de solutions urgentes à la mesure de la saignée et de la détresse qui découlent du financement des groupes armés et terroristes. L’ampleur de la tâche commande une riposte multidimensionnelle alliant sécurité et développement.
Il est fondamental de circonscrire les zones grises de l’économie criminelle et ses liens avec l’économie officielle. L’identification des filières des entreprises, des armées, des transporteurs, des vendeurs et des trafiquants d’armes, des banques, des circuits financiers illégaux et des intermédiaires de toutes sortes, y compris ceux ayant la respectabilité d’entreprises à double face, est une exigence.
À cet égard, nous réaffirmons notre soutien au processus de Kimberley et nous nous félicitons des mesures prises par les États africains et les organisations internationales visant à réguler la chaîne d’approvisionnement en minéraux afin de promouvoir la transparence et de mettre en place un système de certification qui garantisse que les ressources minérales ne servent pas à financer les groupes armés.
Il est indispensable que ces systèmes de certification soient inclusifs, intégrant aussi bien les producteurs que les acheteurs.
Par ailleurs, il est indispensable que les avoirs des groupes armés et les nébuleuses terroristes qui écument l’Afrique soient traqués par la même rigueur que les groupes terroristes internationaux avec l’éventail des mécanismes applicables a la lutte contre le financement du terrorisme et ce, aussi bien au niveau des chaînes d’approvisionnement, qu’envers les acheteurs finaux.
Le renforcement de la coopération sécuritaire transfrontalière par des opérations régionales conjointes, l’échange d’information financières entre pays, la lutte contre la criminalité environnementale, le gel des avoirs, la coopération extrajudiciaire, la lutte contre la circulation illicite des ALPC, la lutte contre le blanchiment des capitaux, sont autant de mesures à mettre en œuvre de façon coordonnée au niveau régional et global.
Chers collègues,
Il est fondamental de nourrir la compréhension générale des liens complexes entre ressources naturelles et conflits violents par une coordination des programmes d’action, et des différents acteurs de la construction de la paix tout en enclenchant une dynamique positive et surmonter les clivages politiques, les conflits d’intérêts ou les agendas cachés afin de construire un consensus autour des normes et d’actions communes en matière de prévention des conflits et de construction de la paix.
Le Gabon plaide pour que le Conseil de sécurité renforce ses mécanismes de répression des réseaux de financement des groupes armés en Afrique par le pillage des ressources naturelles et soutienne, sans réserve, les efforts ainsi que le plaidoyer du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA, dans ce moment critique où le continent est en proie à la prolifération des groupes armés, aux assauts des groupes terroristes et d’autres menaces asymétriques à la paix et à la stabilité.
Pour terminer, je voudrais souligner l’urgence pour ce Conseil d’agir avec plus de détermination pour assécher les financements des bandes armées qui alimentent l’instabilité et la violence dans plusieurs régions du monde.
Les ressources naturelles ne doivent pas être une malédiction pour les pays qui les possèdent.
Je vous remercie.