Professeur d’économie, ancien recteur devenu député puis ministre, vice-président de l’Assemblée nationale et maintenant Premier ministre, l’homme fréquente les milieux politiques où les arrangements avec la vérité et l’histoire sont monnaie courante. Longtemps présenté comme victime des outrances du défunt Syndicat des étudiants gabonais emmené alors par Alain-Claude Billie By Nzé, il se trouve aujourd’hui interpellé par les récentes déclarations d’Aimé Mapangou. Va-t-il enfin parler ?
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C’est une interview qui pourrait faire des dégâts. De gros dégâts. Pour la première fois depuis le déroulement des faits, un acteur de premier plan semble dédouaner celui que l’opinion tient pour coupable. Si ces «révélations» peuvent paraître anodines ou décalées, il n’en demeure pas moins qu’elles jettent ombre et doute sur les méthodes du pouvoir et sur la personnalité de l’actuel Premier ministre. Vingt (20) ans après les faits, Daniel Ona Ondo est au sommet de la pyramide sociale.
Son envergure politique et ses responsabilités n’ont jamais été aussi grandes. Il n’est plus seulement l’élu du canton Nyè ou le patron d’un département ministériel. Il est désormais le chef de la majorité parlementaire et le chef du gouvernement de la République. Et, c’est à ce moment qu’Aimé Mapangou choisit de livrer sa part de vérité sur les événements de 1994 à l’Université Omar Bongo de Libreville.
A travers une interview publiée par le journal La Loupe du 17 juin dernier et des posts sur son compte Facebook,Aimé Mapangou, l’ancien porte-parole du Syndicat des étudiants gabonais (SEG) affirme que celui qui était à l’époque leader de ce syndicat n’a jamais déshabillé le recteur. En d’autres termes, pour lui, Alain-Claude Billie By Nzé n’a jamais déshabillé Daniel Ona Ondo.
Surtout on apprend également que Sidonie-Flore Ouwé et David Ella Mintsa prirent une part active à ces événements de sinistre mémoire. Plus grave, on y découvre que le traitement réservé aux étudiants incriminés par les pouvoirs publics variait en fonction de leurs départements d’origine et surtout que ces événements revêtaient davantage des allures de lutte interne au pouvoir établi.
Si pour l’heure il n’y a aucune preuve et que ce sera toujours la parole de l’un contre celle des autres, ces affirmations devraient relancer le débat ou susciter l’ouverture d’une enquête sur les rôles des uns et des autres, eu égard aux positions respectives des principaux protagonistes dans la société. Peut-on continuer à entretenir le flou sur le fait que le porte-parole de la présidence de la République ait déshabillé ou pas, dans le passé, le Premier ministre ?
Peut-on rester impassible quand on apprend que l’actuel procureur de la République près le tribunal de Libreville aurait joué un rôle stratégique dans ces événements ? Peut-on demeurer de marbre quand il semble que celui qui est aujourd’hui directeur général de Gabon Télévision était au cœur du mouvement et que ses liens supposés avec le ministre de l’Enseignement supérieur de l’époque l’ont épargné de toute sanction ? Doit-on se taire quand il s’insinue que ces événements étaient, en réalité, l’expression d’une lutte à mort entre René Ndemezo’Obiang et Daniel Ona Ondo, deux barons du PDG ?
Sur toutes ces questions, la presse et l’opinion n’ont jamais été très exigeantes avec la principale victime supposée. Jamais, il ne lui a été publiquement demandé de livrer sa part de vérité sur ces événements. Même quand Alain-Claude Billie By Nzé fît son entrée au gouvernement, personne n’osa interroger Daniel Ona Ondo sur cette affaire. Plus éloquent, la publication, par l’actuel porte-parole de la présidence de la République, en décembre 2007, d’un essai intitulé « Et si on en parlait ? » à travers lequel il livre sa version des faits fut un non-événement. La religion de l’opinion était faite : celui qui, en 1994, n’était perçu que comme un étudiant instrumentalisé par le président du principal parti de l’opposition de l’époque avait bel bien mis le recteur d’alors à poil.
Boite de pandore
Le silence de l’actuel Premier ministre sur cette affaire ne saurait durer éternellement. Il est d’autant plus pesant que la répartition des rôles au moment de cette crise n’est pas claire pour le commun des mortels. Beaucoup en sont toujours à se demander qui avait eu l’initiative de ce référendum sur la reprise des cours qui a fini par dégénérer.
D’autres s’interrogent sur la pertinence de cette initiative, sa paternité et sa portée. Venait-elle du recteur ou du ministre de l’Enseignement supérieur ? Vingt (20) ans plus tard, Aimé Mapangou aussi veut comprendre. Annonçant devoir publier bientôt un livre, sur cette séquence historique, intitulé « Parlons-en », il formule un ensemble de questions. «Pourquoi le gouvernement s’était-il empressé de prononcer des sanctions alors qu’il existe un organe dédié qu’est le conseil de discipline ?», s’interroge-t-il.
«Pourquoi les poursuites judiciaires annoncées n’ont jamais eu de suites ?», ajoute-il, poursuivant : «Pourquoi la mesure d’exclusion n’a touché qu’Alain-Claude Billie By Nzé et moi alors que David Ella Mintsa, Hass Nziengui, Marcus Ondo Minko et Armand-Paul Beh Biyogho étaient là ? Si j’étais de Bitam, je n’aurais pas été exclu». Et d’accuser : «Les événements de 94 ont été pensés hors de l’UOB. Le SEG et le FER n’ont jamais planifié l’agression du recteur. Ce qui est arrivé au recteur a été savamment organisé au sommet de l’Etat, notamment au ministère de l’Enseignement supérieur».
Même si beaucoup d’eau a, depuis, coulé sous les ponts, Daniel Ona Ondo gagnerait à s’exprimer sur la question. «Le mutisme d’Ona Ondo donne le sentiment qu’il ne veut pas ouvrir la boîte de Pandore, notamment sur les relations passées entre Omar Bongo et Paul Mba Abessole mais aussi entre cadres du PDG», risque, en guise d’explication, un ancien journaliste de l’hebdomadaire défunt Le Bûcheron. En entretenant le mutisme, le Premier ministre laisse, en effet, libre cours à toutes les interprétations. Mais, en disant ce qu’il en sait, peut-il réellement aider à clarifier les rôles et responsabilités des uns et des autres, notamment dans anciens membres des deux syndicats étudiants ?
Toujours muré dans son silence, Daniel Ona Ondo sait que les faits incriminés sont frappés de prescription. S’il venait à s’exprimer, c’est simplement pour faire éclater la vérité historique. L’élu du canton Nyé pourra-t-il alors assumer les ajustements et remises en cause qui en découleraient ? A chacun selon sa conscience….