Des gendarmes viennent de remettre en cause l’autorité des magistrats, au point de dessaisir un tribunal. Aux procureurs, ils ont envoyé un message : ils travaillent sous la direction du pouvoir politique et de personne d’autre.
Un jour ou l’autre, les lâchetés et reniements finissent par cracher leur poison. Tôt ou tard, la quête de privilèges et la compromission finissent par se retourner contre leurs adeptes. S’étant longtemps prêté à toutes les combinaisons d’arrière-boutique, les magistrats se croyaient protégés. Ayant accédé aux demandes les plus farfelues, ils se disaient à l’abri de toute humiliation. Grossière méprise. Leur autorité vient d’être remise en cause par des gendarmes. Naturellement, leur honorabilité s’en est trouvée publiquement souillée. Suite à l’humiliation infligée par des agents de Direction générale des recherches (DGR) au procureur de la République près le tribunal de première instance de Franceville, la magistrature se retrouve Gros-Jean comme devant. Au lendemain du transfèrement forcé de Guy Nzouba-Ndama à Libreville puis de son assignation à résidence, elle découvre ses faiblesses.
La justice, auxiliaire de police militaire
Le fait est insolite : des officiers de police de judiciaire, c’est-à-dire des personnels agissant sous la direction du procureur de la République, ont refusé d’exécuter un ordre émanant du… procureur de la République, s’autorisant à dépayser la procédure. En décidant de conduire Guy Nzouba-Ndama à Libreville, ils ont même dessaisi le tribunal de Franceville, s’arrogeant une prérogative reconnue à la Cour de cassation. Comme si de rien n’était, un autre procureur a pris la suite, demandant l’ouverture d’une information judiciaire. Pourtant, au vu et au su de tout le monde, des gendarmes ont violé les dispositions du Code de procédure pénale. Sur les relations entre le ministère public et la police judiciaire, cet acte d’insubordination laissera nécessairement des traces. Sur le fonctionnement de la justice, il aura forcément des répercussions.
S’ils ont porté atteinte à l’autorité des magistrats, ces gendarmes ont semé le doute sur un point encore plus sensible : les relations entre la magistrature et la hiérarchie militaire. Du fait de ces collusions institutionnelles mille fois dénoncées, la justice n’avait pas déjà bonne presse. En refusant de lui obéir tout en lui intimant des ordres, la gendarmerie l’a ravalé au statut de supplétif voire d’auxiliaire de police militaire. Lundi dernier à Franceville, les rôles étaient clairement inversés : à en croire nos confrères de Gabon Média Time, l’information relative au transfèrement de Guy Nzouba-Ndama était inconnue du procureur de la République «qui aurait tenté de ramener à la raison (des) militaires bien décidés à en découdre.» De la part d’agents censés exercer avec une habilitation délivrée par le procureur général, une telle attitude ne relève pas seulement de l’insubordination. Elle traduit aussi un sentiment de toute-puissance, un mépris voire un goût pour l’épreuve de force.
Aucun compte à rendre aux procureurs
Au vu des dispositions légales, c’est un véritable bras d’honneur à l’appareil judiciaire. Selon l’article 20 de la loi n° 043/2018 du 5 juillet 2019, «la police judiciaire est exercée, sous la direction du procureur de la République, par les officiers de police judiciaire ou les agents publics habilités.» Aux termes de l’article 21, «la police judiciaire est placée, dans le ressort de chaque Cour d’appel judiciaire, sous l’autorité du procureur de la République et la surveillance du procureur général.» A en croire l’article 28, «les officiers de police judiciaire sont tenus d’informer immédiatement le procureur de la République des crimes, délits et contraventions dont ils ont connaissance.» Eu égard à l’article 520, «en matière criminelle ou correctionnelle, la Cour de cassation peut dessaisir toute juridiction d’instruction ou de jugement et renvoyer la connaissance de l’affaire à une autre juridiction du même ordre (…) lorsque le cours de la justice se trouve autrement interrompu (ou) lorsqu’il y a prise à partie ou suspicion légitime.» En passant outre toutes ces dispositions, la DGR a laissé le sentiment de n’avoir aucun compte à rendre aux procureurs, laissant à la justice le soin d’acter sa propre impuissance.
Deux juridictions symbolisent désormais cette déchéance de l’autorité judiciaire : le tribunal de première instance de Franceville et la Cour criminelle spécialisée. Ayant consenti à jouer un scénario manifestement écrit ailleurs, elles ont ouvertement cautionné la bravade de la DGR, écornant davantage l’image de la justice. Si l’on tient compte du silence du reste de la corporation, leur attitude traduit une bien singulière compréhension de leur mandat : mettre en œuvre des décisions politicviennes «à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice.» D’où le message envoyé par la gendarmerie à leur endroit : les gendarmes travaillent sous la direction du pouvoir politique et de personne d’autre. L’Etat de droit est encore loin…