La rencontre de Libreville ne sortira pas des sentiers battus, les «solutions climatiques naturelles» étant un leurre.
Comme dirait le Groupe de travail sur la Plateforme de Durban pour une action renforcée, l’«approche erronée des négociations» sur le climat fait encore recette. En sus de la Conférence des parties (Cop), des semaines régionales ont lieu chaque année. Depuis hier, l’édition 2022 de la Semaine africaine se tient à Libreville. Organisée par ONU climat, le Programme des Nations-unies pour le développement (Pnud), le Programme des Nations-unies pour l’environnement (PNUE), la Banque mondiale, l’Union africaine (UA), la Banque africaine de développement (Bad), la Commission économique pour l’Afrique des Nations-unies (CEA) et le gouvernement gabonais, cette rencontre vise trois objectifs : «faire progresser l’action climatique», «s’attaquer aux inégalités sociales» et «investir dans un développement bon pour l’humanité et la nature.» Pour ce faire, les participants se pencheront sur les voies et moyens de parvenir à une meilleure «résilience face aux risques climatiques», une «transition vers une économie à faibles émissions» et, des «partenariats pour résoudre des défis urgents.»
Des fausses solutions
Comme lors de la Cop26, on parlera de «résilience» et d’«adaptation» et pas d’«atténuation.» Encore moins des causes structurelles des vulnérabilités aux changements climatiques. Comme à Glasgow, on dissertera sur la protection des forêts et pas sur la préservation des océans. Pour ainsi dire, on entendra un discours convenu, mélange de mensonges, de demi-vérités et de promesses en l’air. A coup sûr, cette Semaine africaine du climat ne dérogera pas à la tradition. Elle ne sortira pas des sentiers battus. Comme le World rainforest movement (WRM-Mouvement mondial pour les forêts tropicales) n’a de cesse de le dénoncer, on y reprendra les «fausses solutions» : le REDD+ (Reducing emissions from deforestation and forest degradation- Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts) et le zéro déforestation, les compensations à la perte de biodiversité, la marchandisation de la nature, les systèmes de certification et la bioéconomie.
Fondement de la politique forestière au niveau international, le REDD+ permet-il de sauver les forêts en offrant aux pays des incitations ? Le concept zéro déforestation nette est-il opérant ? Se traduisant, au choix, par des plantations industrielles d’arbres ou le classement d’aires protégées, les solutions fondées sur la nature sont-elles viables ? Les études visant à donner un prix à des éléments naturels ou à mettre en place un marché carbone contribuent-ils à la lutte contre les changements climatiques ? Censés prévenir les effets de la déforestation et des monocultures, les systèmes de certification y parviennent-ils ? Conçue pour faciliter la transition énergétique, l’économie du vivant est-elle un moyen de lutte contre la surexploitation ? Sur toutes ces questions, on se gardera de répondre par l’affirmative. Avec plus ou moins de force, on émettra même des réserves.
Attaquer la crise à sa racine
La lutte contre le réchauffement planétaire ne saurait reposer sur la nature. Comme dans toute crise, les solutions doivent être envisagées en tenant compte d’un principe : la relation de cause à effet. Or, comme le relève le WRM, «les pays industrialisés ont exploité et consommé plus de combustibles fossiles, de forêts et d’autres ressources de la planète que le Sud (…) Ce faisant, ils ont mis l’humanité dans un état de risque tel qu’elle est en danger de succomber.» De ce point de vue, il faut rejeter les «fausses solutions dirigées de l’extérieur.» Au lieu de ressasser la bonne parole, il faut s’attaquer aux causes, c’est-à-dire à ce «système économique injuste visant une croissance sans fin.» Même si elles bénéficient du soutien des Nations-unies, les «solutions climatiques naturelles» n’en demeurent pas moins un leurre. Quand bien même elles sont portées par des organisations non gouvernementales comme le Worldwide fund for nature (WWF), elles permettent la poursuite d’activités génératrices d’effets de serre : mines, extraction de combustibles fossiles, agro-industries…
Pour en finir avec ce poker menteur, il faut partir d’un postulat simple : un autre monde est possible. Comme le dit le Groupe de Durban, il faut attaquer «la crise du climat à sa racine : le transfert du pétrole, du charbon et du gaz du sous-sol à la surface.» Dès lors, cinq pays ont un rôle majeur à jouer : les Etats-Unis, la Russie, la Chine, le Canada et l’Arabie saoudite. Si on ne peut rien leur imposer, il ne sert à rien de déplacer le débat, au risque de faire dans le simplisme et la mystification. Il ne sert non plus à rien de consacrer du temps et des ressources au développement d’un hypothétique marché du carbone. Si les Africains veulent réellement lutter contre les changements climatiques, ils doivent avoir le courage de le dire.