Au vu et au su de tout le monde, le cabinet du président de la République s’était mué en autorité de tutelle, neutralisant le conseil d’administration, le gouvernement et l’ensemble des institutions de contrôle.
Durant le procès de Renaud Allogho Akoué, on a entendu des choses peu conformes aux règles de bonne gouvernance. Ainsi, l’ancien directeur général de la Caisse nationale d’assurance-maladie et de garantie sociale (Cnam-GS) aurait été nommé sur recommandation de l’ancien directeur de cabinet du président de la République. Tout au long de son bail à la tête de la Cnam-GS, il prenait ses ordres de son mentor supposé. Autrement dit, l’identification des préposés aux fonctions ne relève pas de la responsabilité des ministres mais de celle du cabinet présidentiel. La tutelle de l’État s’exerce non pas conformément aux dispositions y relatives mais, en fonction des accointances et allégeances diverses. Au-delà, il n’existe aucune différence entre tutelle technique, tutelle financière et tutelle économique.
Violation des règles et concentration des pouvoirs
A l’évidence, ni la loi n° 11/82 sur le régime juridique des établissements publics ni la loi n° 12/82 portant organisation de la tutelle de l’État n’ont été respectées. Bien au contraire. Elles ont été royalement ignorées. Le même constat vaut pour l’ordonnance n° 022/PR/2007 instituant un régime obligatoire d’assurance-maladie et de garantie sociale. Et pour cause : en son article 5 alinéa 2, le premier texte dispose : «(Dans les établissements publics), le directeur général est nommé par décret du président de la République sur proposition du ministre assurant la tutelle technique.» En son article 11, la même loi ajoute : «La tutelle de l’État sur les établissements publics s’exerce dans les conditions et formes prévues par les textes régissant la matière.» Or, en son article 29, le texte de création de la Cnam-GS affirme : «Le directeur général est nommé par décret sur une liste d’aptitude établie par le conseil d’administration.» Nulle part, il n’est fait mention du rôle du directeur de cabinet du président de la République. Comment s’était-il arrogé cette prérogative sans être recadré ?
Même si personne ne l’a relevé, Brice Laccruche-Alihanga ne se serait jamais mêlé de telles questions si le rôle du gouvernement n’était pas banalisé. Il n’aurait jamais proposé de nom si tout ne se décidait pas à la présidence de la République. Si les textes avaient été respectés, une liste d’aptitude aurait été établie. Et son avis n’aurait jamais été requis. Alors en poste à l’étranger, Renaud Allogho Akoué aurait-il postulé si un appel à candidatures et des auditions avaient été organisés ? Aurait-il été retenu si le conseil d’administration avait dressé la liste des candidats soumis à nomination ? Nul ne peut l’affirmer. Du coup, on peut en tirer une conclusion : imputables aux mis en cause, ces frasques sont aussi la conséquence d’une gouvernance hérétique, alliant violation des règles et concentration des pouvoirs entre les mains de quelques-uns.
Un contexte propice à tous les abus
Les sectateurs du régime auront beau dénoncer une «diversion», la réalité demeurera : pourtant prescrite par les textes, la procédure de nomination du directeur général de la Cnam-GS n’avait pas été respectée. Ils auront beau accuser certains avocats de se laisser guider par «leurs opinions politiques», les faits parleront d’eux-mêmes : censé être signé «par le président du conseil d’administration et le directeur général pour le compte de l’entreprise et par le Premier ministre et les ministres assurant les différentes tutelle pour le compte de l’État», le contrat de programme n’a jamais été conclu. Plus grave, au vu et au su de tout le monde, le cabinet du président de la République s’était mué en autorité de tutelle, neutralisant le conseil d’administration, le gouvernement et l’ensemble des institutions de contrôle, notamment la Cour des comptes.
Dans l’opération Scorpion, on veut bien demander aux accusés d’assumer les conséquences de leurs actes. Mais, on ne peut faire comme si le contexte n’avait pas facilité leurs errements. On ne peut raisonner comme si la pratique politico-administrative n’était pas propice à tous les abus. Mille fois dénoncée, l’omnipotence du directeur de cabinet du président de la République a été théorisée, soutenue par les zélotes du régime. Loin de tout parti pris, ce paramètre doit être pris en compte dans l’analyse des agissements de Brice Laccruche-Alihanga et ses acolytes. Entre contournement des procédures, violation de la loi, montages institutionnels douteux et allégeances multiples, le pouvoir a implicitement créé les conditions de sa propre mise en cause. Au vu des gaspillages engendrés, la justice doit s’en souvenir. Eu égard aux retards accumulés, les citoyens doivent demander des comptes. Et nul ne devrait s’y opposer.