Le rapport d’audit du cabinet Deloitte Touche Tohmatsu sur les dépenses relatives à la lutte contre la pandémie du Covid-19 au Gabon laisse comprendre que le plus gros compte, dénommé Fonds de solidarité, a été écarté du contrôle. Seul le Fonds Spécial domicilié à la CDC a été audité. Et là, sur les 177,2 milliards décaissés par le FMI seuls 32,2 milliards ont été soumis à la procédure de contrôle pour révéler plus de 12 milliards de francs CFA d’incongruités financières.
Le FMI qui exigeait, en mai dernier, la publication d’un rapport sur l’argent du Covid au Gabon, pourrait-il se satisfaire du rapport produit par le cabinet d’audit et conseil Deloitte Touche Tohmatsu ? On pourrait en douter. Boileau Loko, le chef de la dernière mission de l’institution de Breton Woods au Gabon, avait en effet précisé que le rapport demandé «doit faire le compte sur les dépenses Covid en 2020 et 2021». Or, le compte-rendu d’audit de Deloitte, publié sur le site du ministère de l’Economie ne couvre que la période «allant du 31 mars au 31 décembre 2020», soit les 9 premiers mois seulement de la pandémie.
Une seule caisse auditée sur les deux existantes et 32 milliards seulement sur les 177 reçus
En avril 2020, un mois après l’instauration des mesures locales de lutte contre la pandémie du Covid-19, le Gabon procédait à la demande d’un achat au titre de l’instrument de financement rapide du FMI. Au terme de quoi, 147 millions de dollars, soit 88 milliards de francs CFA furent approuvés au décaissement au bénéfice du pays. Est-ce uniquement de cet argent que le FMI voudrait connaitre l’utilisation ? On ne saurait y répondre.
Toujours est-il que, selon le cabinet Deloitte, «outre les ressources apportées par d’autres partenaires au développement pour contribuer à financer ces mesures d’urgence, les autorités gabonaises ont bénéficié d’un financement d’urgence du FMI au titre de l’instrument de financement rapide (IFR) de 177,2 milliards de FCFA (2% du PIB en 2020). A noter que sur ce total de FCFA 177,2 milliards versés par le FMI à l’Etat gabonais au titre de l’IFR, FCFA 32,2 milliards ont été versés en 2020 sur le compte bancaire du Fonds Spécial ouvert à la CDC, destiné au financement direct des dépenses de riposte à la pandémie de la Covld-19.» Ainsi, sur les 177,2 milliards décaissés par le FMI, seuls 32,2 milliards ont été déposés à la Caisse des dépôts et de consignation (CDC).
La mission d’audit du cabinet n’aura donc porté que sur le Fonds spécial ouvert à la CDC. Quid de l’argent censé avoir été versé dans une autre caisse, dénommée Fonds de solidarité et qui n’avait pas vocation à recevoir des financements en provenance des bailleurs des fonds ?
Selon le rapport d’audit de Deloitte, 36,985 milliards de francs CFA ont été dépensés sur 37,277 milliards reçus par le Fonds Spécial domicilié à la CDC. L’auditeur est toutefois formel : il n’est pas «en mesure d’exprimer une opinion favorable sur les états financiers (…) du Fonds Spécial de lutte contre l’épidémie du Coronavirus.» Autrement dit, Deloitte ne peut ou ne saurait certifier une gestion au-dessus de tout soupçon de ces fonds.
100 respirateurs pour 4 milliards et autres incongruités financières
Trois raisons peuvent justifier l’impossibilité pour le cabinet Deloitte d’exprimer une opinion favorable :
D’abord l’achat de matériels, équipements médicaux, consommables et fournitures médicales d’un montant de 15,924 milliards de francs CFA auprès d’un fournisseur nommé JINJIAN JIAXING. Une opération gérée par un conseiller du président de la République dont l’audit fait constater l’enregistrement d’un montant de 7,719 milliards de francs CFA dans les dépenses de fonctionnement au titre des fournitures consommables. Et, l’enregistrement dans les dépenses d’investissement, de 297 millions de francs CFA de matériels et équipements. Soit au total 8,016 milliards de francs CFA sur une opération portant sur 15,924 milliards de francs CFA.
Ensuite, l’achat d’équipements (100 respirateurs) et de consommables médicaux, d’un montant de 4,721 milliards de francs CFA auprès de GSEZ, entreprise qui, au constat de l’auditeur, n’est pas spécialisée dans la fourniture de matériels et consommables médicaux. De ce fait, l’auditeur s’est retrouvé dans l’impossibilité de valider 1,836 milliards de francs CFA de matériels et équipements, notamment 100.000 Kits de test de second niveau, pour un montant total de 1,476 milliards de francs CFA dont aucun élément de preuve n’a été constaté.
De même, l’auditeur a jugé inefficient l’achat de 175 respirateurs, pour 4,794 milliards de francs CFA, toujours auprès de JINJIAN JIAXING, sur une opération également gérée par un conseiller du président de la République. Vraisemblablement, ces respirateurs n’ont jamais été utilisés puisque 157 de ces appareils étaient abandonnés aux intempéries deux ans après leur réception. Les choses se sont se passées comme si les respirateurs achetés ne fonctionnaient pas et ont été abandonnés pour cette raison.
12,333 milliards de dépenses injustifiées… l’opacité permanente en plus
Il y a enfin l’impossibilité pour le cabinet d’audit de se prononcer sur 2,481 milliards de francs CFA de dépenses de fonctionnement et qui concerne les subventions pour charges de services publics (603 millions de francs CFA) ou les primes classées dans la catégorie SPG (1,878 milliards de Fcfa). Deloitte parle d’«absence de facture(s) définitive(s), de bons de réception des fournitures, matériels et équipements et/ou de procès-verbaux de réception des travaux effectués»… On totalise ainsi 12,333 milliards de francs CFA (8,016 + 1,836 + 2,481) de dépenses injustifiées, donc fictives ou surfacturées et 4,794 milliards pour l’achats de 175 respirateurs n’ayant jamais servis.
Pour l’essentiel, les Gabonais voulant y voir plus clair resteront sur leur faim. Qu’a-t-on donc fait de tout l’argent engrangé depuis 2019 au prétexte de la stratégie – illisible – de lutte contre le Covid-19 ?
Un flux de 122,997 milliards de francs CFA
Nombreux ont encore en tête le décompte effectué par Geoffroy Foumboula Libeka. Selon la figure de proue du Copil citoyen, le Gabon avait engrangé, par des canaux divers, pas moins de 122,997 milliards de francs CFA. Au titre des contributions enregistrées et médiatisées, il y avait en effet 4 milliards pour la dotation achat matériel du président de la République ; 25 milliards au titre de fonds initial Covid-19 ; 88 milliards du Fonds monétaire international ; 3,2 milliards de l’Agence française de développement ; 102 millions du gouvernement ; 2,1 milliards du Fonds Ali Bongo ; 415 millions de la communauté libanais ; 60 millions de Gabon Télecom ; 30 millions de la Fondation Seydou Kane et 90 millions de francs CFA de l’UBA Gabon. Autant d’argent dont l’audit ne sera jamais demandé et le plausible détournement sans doute jamais sanctionné, le rapport d’enquête parlementaire à ce sujet n’ayant abouti à rien.
Comme un air de complicité, les autorités gabonaises ont choisi de ne faire expertiser que l’argent provenant des bailleurs de fonds internationaux. Et même ! Là aussi, à en croire le cabinet Deloitte, les comptes sont loin d’être clairs. La pandémie du Coronavirus n’aura vraisemblablement été qu’une aubaine pour les flibustiers du monde politique et administratif gabonais.