Affirmant avoir été approché par le commandant en chef de la Garde républicaine (GR), l’ancien député de Bolossoville décrit le processus d’installation d’un climat de terreur. De nombreuses institutions voient leur image touchée de plein fouet.
«Il n’y a pas de fumée sans feu», dit une maxime populaire. Soupçonnée de choses et d’autres, accusée de se mêler de tout et rien, la Garde républicaine (GR) fait de nouveau parler d’elle. Dans une lettre ouverte intitulée «Mon testament avant ma mort», Bertrand Zibi Abeghé dit avoir été approché par le commandant en chef de ce corps, Brice Oligui Nguéma, supposément mandaté par Ali Bongo. Une fois de plus, l’unité militaire en charge de la protection du président de la République est citée dans une affaire ne relevant pas de ses missions. Peut-être une fois de trop, elle se retrouve mêlée à une histoire aux confins de la politique et de la justice. Comme souvent en pareilles circonstances, l’opinion s’interroge. Cherchant à évaluer la conformité de la procédure, elle se demande s’il n’y a pas violation des droits de la défense voire atteinte aux droits humains.
Devoir de protection des prisonniers
Ces interrogations peuvent paraître exagérées. Mais un détail suscite des inquiétudes quant à la capacité des pouvoirs publics à faire respecter la loi et à veiller au respect des libertés publiques : l’implication supposée du directeur de la prison centrale et du commandant en chef de la Sécurité pénitentiaire. Censés œuvrer à «l’exécution des mandats de justice, (au) maintien de l’ordre (au sein de la prison) et (à) l’amendement des détenus en vue de leur réinsertion dans la société», ces paramilitaires ont un devoir de protection à l’endroit des prisonniers. Ont-ils pris part à ces tractations secrètes ? Si oui, ils ont implicitement cautionné une pratique peu orthodoxe, se montrant disposés à tout couvrir, y compris des procédures extra-judiciaires.
Pour autant, on ne saurait reposer l’entière responsabilité de ce vaudeville sur la Sécurité pénitentiaire. Peu importe les raisons, le silence du gouvernement traduit une certaine gêne. Peut-être même un sentiment d’impuissance. En se gardant de se prononcer sur les dires de l’ancien député de Bolossoville, les ministères en charge de la Justice et de la Défense nationale donnent l’impression d’être dépassés par les événements. Comme s’ils étaient tétanisés à l’idée d’apprécier des faits imputés à la GR. Or, comme le dit Euripide, «le silence est un aveu.» En clair, l’exécutif serait mieux inspiré de faire la lumière sur cette affaire. Après tout, il existe une inspection générale de la Sécurité pénitentiaire, chargée du contrôle des prisons. Suite au décès d’un détenu en mai dernier, elle avait annoncé avoir ordonné une enquête «en vue d’établir les circonstances exactes de cet incident malheureux.» Pourquoi ne ferait-elle pas de même sur ce coup-ci ? Au-delà, la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) et le médiateur de la République peuvent contribuer à la manifestation de la vérité.
Liaisons incestueuses
A quatorze mois de la prochaine présidentielle, les pouvoirs publics n’ont rien à gagner à faire comme s’ils n’avaient rien entendu. Ils n’ont aucun intérêt à faire le dos rond ou à miser sur l’usure du temps. Certes, des doutes subsisteront toujours sur la teneur des échanges ou la nature des propositions prêtées à Ali Bongo. Mais des éclaircissements doivent être apportés sur des points relevant de la procédure. Le président de la République s’est-il réellement immiscé dans une affaire judiciaire ? A-t-il commis un militaire pour la circonstance ? Le commandant en chef GR s’est-il autorisé à extraire un détenu de l’univers carcéral ? Les responsables de la Sécurité pénitentiaire ont-ils cédé à des injonctions venues d’ailleurs ? En ont-ils parlé au procureur de la République ? Ont-ils pris la précaution d’informer leur ministre de tutelle ? Quelle a été sa réaction ? Si ces questions sont encore sans réponse, de nombreuses institutions voient leur image touchée de plein fouet dans cette affaire.
A travers sa lettre ouverte, Bertrand Zibi Abeghé a dénoncé les liaisons incestueuses entre l’exécutif, l’armée et la justice. Avec force détails, il a décrit le processus d’installation d’un climat de terreur : accusations formulées par des hommes politiques «en complicité avec de hauts magistrats, des officiers des forces de l’ordre et des services spéciaux», menaces de mort «par empoisonnement« , chantages divers… Or, depuis toujours, le pouvoir politique n’a eu de cesse de décrire le Gabon comme un Etat de droit où «force reste à la loi.» Contre toute attente, les graves accusations portées par l’un de ses plus vigoureux contempteurs lui donnent l’occasion de le prouver. Et cela commence par… l’ouverture d’une enquête, fût-elle administrative ou indépendante.