Interpellé fin août 2016 durant la crise post-électorale puis condamné, l’ancien député Bertrand Zibi Abeghe, en détention depuis six ans, a récemment écrit au président de la République Ali Bongo. Dans cette lettre à valeur testimoniale, révélant ses échanges avec l’émissaire du chef de l’État, le commandant en chef de la Garde républicaine, le général Brice Oligui Nguema, le natif de Bouth-Engasse par Minvoul, «en toute franchise et avec le cœur» s’est exprimé et veut sa liberté sans condition. Il évoque la proposition qui lui est faite pour le poste du Vice-président de la République, les «faucons» autour du président «qui sont en train de préparer d’autres accusations» contre lui et fait également allusion à son meurtre qui pourrait intervenir d’ici le 13 septembre, date de sa sortie de prison.
Probablement le prisonnier le plus célèbre du Gabon, l’ancien député démissionnaire du Parti démocratique gabonais (PDG) de Minvoul, incarcéré depuis six ans à la prison centrale de Libreville, pour détention illégale d’arme à feu, Bertrand Zibi Abeghe a récemment écrit au président Ali Bongo. Avec pour objet «Mon testament avant ma mort», cette lettre répond à toutes les demandes et sollicitations qui auraient été formulées par le chef de l’Etat à son endroit, mais aussi aux intrigues, intimidations, abus qu’il subit.
Ayant toujours clamé son innocence, considérant sa détention comme politique et une vengeance du président Ali Bongo devant qui, il avait démissionné en public avec fracas, six ans après son incarcération, et à quelques deux mois avant sa libération, le 13 septembre, l’ancien député du PDG semble vivre des heures d’angoisse à la prison centrale de Libreville. Dans sa correspondance adressée le 13 juin au chef de l’Etat, il fait savoir qu’il a eu un échange avec le commandant en chef de la Garde républicaine, le général Brice Oligui Nguema, émissaire d’Ali Bongo.
«C’est vous qui […] avez décidé de faire de ma vie un véritable calvaire»
Plusieurs sujets ont été abordés et en résumé, Bertrand Zibi Abeghe, point par point, indique que le président lui demande une «lettre de pardon et de remerciement» qui permettrait sa libération. «Vous me demandez de vous écrire une lettre de pardon et de remerciements. Pardon pour quoi ?», a-t-il questionné. «Monsieur le président, chère frère, c’est vous qui depuis ma démission de mon poste de député à Bolossoville par Minvoul avez décidé de faire de ma vie un véritable calvaire. Au passage je vous signale que je n’étais pas le seul député à démissionner en 2016. Juste quelques jours après ma démission, mon domicile familial avait failli partir en fumée… Des éléments encagoulés y avaient mis le feu. N’eut été la solidarité de nos voisins qui avaient fait preuve de rapidité et d’efficacité pour arrêter l’incendie, ma famille aujourd’hui serait dans la rue. Ensuite j’ai échappé miraculeusement à la mort dans la nuit du 31 aout 2016, lors de l’assaut du Quartier général du président Jean Ping. Bombardements qui avaient fait plusieurs morts.», a-t-il fait savoir.
Racontant toutes les péripéties vécus depuis son arrestation, passant par les tortures à la Direction générale des renseignements (DGR), les témoins instrumentalisés, les preuves falsifiées, son innocence prouvée par des témoins, son séjour de six mois au C.B, «un quartier disciplinaire de la prison. Véritable enfer sur terre», un autre de quatre ans et trois mois au C.A, «quartier de Gros-Bouquet où se trouvent tous les malades mentaux de la prison», sa fracture de la clavicule, la perte de l’usage de ses pieds pendant trois mois, jusqu’à ses six année d’emprisonnement, il se demande pourquoi il devrait demander pardon à Ali Bongo.
«Excellence monsieur le président de la République, après un tel vécu depuis 2016 à aujourd’hui, pourquoi devrais-je vous demander pardon ? De m’avoir autant torturé ? De m’avoir fait subir autant d’atrocités ? Je ne vous demanderai pas pardon et je ne vous remercierai pas». Il refuse donc d’écrire cette lettre exigée par Ali Bongo, invoquant des «marabouts, féticheurs et autres pratiquants du vaudou et sorciers (qui) attendent cette lettre» pour «des rituels mystico-magiques, pour «tuer»» son esprit et son âme, et aussi, pour le «tuer politiquement».
«Est-ce que ma mort va construire les routes, les hôpitaux»
Bertrand Zibi Abeghe, qui veut aller au bout de sa peine et sortir de prison, note que des «faucons» autour du chef de l’État sont en train «de préparer d’autres accusations» contre lui. «Cela en complicité avec de hauts magistrats, des officiers de forces de l’ordre et des services spéciaux». «Vous me faites comprendre entre les lignes que si je refuse vos propositions, je pourrai me voir décerner un autre mandat de dépôt qui me maintiendrait en prison après ma date de sortie qui est prévue pour le 13 septembre 2022. Cette nouvelle condamnation me gardera en prison pour une éternité ; peut-être que je perdrais même ma vie…», a-t-il dénoncé.
Le natif de Bouth-Engasse fait remarquer que son assassinat est également évoqué. «Pourquoi vous acharnez-vous à tuer quelqu’un qui est déjà mort depuis 2016 ? Qu’est-ce que ma mort va vous apportez ? Est-ce que ma mort va construire les routes, les hôpitaux, les écoles et toutes les infrastructures que ce pays pleure depuis des décennies ? Pourquoi mettre autant d’énergie pour perdre un simple citoyen ?», interroge-t-il intensément non sans relever que le président Ali Bongo lui propose le poste de Vice-président de la République, en plus de l’indemniser pour les six années déjà passé en prison.
«Je suis très honoré par votre proposition sur ma modeste personne. Merci pour cette grande marque d’attention mais comme je vous l’avais déjà fait savoir en 2017, 2018 et 2019 lorsque vous me proposiez d’entrer au gouvernement, je ne suis pas intéressé par ces postes. Je pense qu’autour de vous il y a des personnes qui sont prêtes à tuer père et mère pour ces postes, nommez-les», a-t-il déclaré,
A propos de l’indemnisation, il la refuse également et laisse entendre que «cet argent est la propriété du peuple gabonais». «Il en a plus besoin que moi» dit-il, suggérant en outre de le mettre à la disposition des retraités de la CNSS ou de renflouer les caisses de CNAMGS. «Vous pourrez également l’utiliser pour payer les antirétroviraux à nos compatriotes atteints du VIH/Sida et qui depuis plusieurs mois n’ont plus de médicaments. Plusieurs sont déjà morts et d’autres sont au bord de la mort…».
Après ces six années sans voir ses enfants et sa famille, il invite simplement le chef de l’Etat de le libérer. «Excellence monsieur le président de la République, pour ma part, je ne vous demande qu’une seule et unique chose : libérez-moi». «Mon cœur saigne», a-t-il tristement lancé dans cette lettre écrite au nom des ancêtres et des martyrs du Gabon.