Les réactions à la destruction d’un bien immeuble au quartier London doivent alerter le pouvoir sur le niveau de désespérance des populations tout en l’incitant à reconnaitre son échec.
Pour la deuxième fois, l’opinion assiste à la destruction d’un bien immeuble sur fond de litispendance. Comme il y a dix-huit mois, l’opération est menée sous le contrôle d’un huissier de justice. Comme en janvier 2021, le bénéficiaire se trouve être une personnalité d’origine syro-libanaise. Comme à Lalala, l’autre partie conteste vigoureusement, brandissant elle aussi des pièces à conviction. C’est dire si cette affaire relance le débat sur la nécessité d’une réforme foncière de fond. C’est aussi dire si elle alimente des soupçons de corruption, renforçant le doute sur l’intégrité des magistrats. C’est surtout dire si elle flatte les bas instincts, charriant les idées les plus nauséabondes. Se faisant les relais des thèses les plus farfelues, certains n’hésitent plus à transposer la théorie du «grand remplacement» si chère à l’écrivain français d’extrême-droite, Renaud Camus. Comme si le pouvoir politique avait décidé de substituer les populations autochtones par d’autres, venues d’ailleurs.
Récurrence des conflits
Cette adhésion aux thèses complotistes, conjuguée à la défiance vis-à-vis de l’appareil judiciaire, constitue une alerte sur le niveau de désespérance d’une partie de l’opinion. Si elle doit l’inciter à engager de vraies réformes structurelles, elle doit amener le pouvoir à reconnaître son échec, sa réforme du régime domanial étant restée au milieu du gué. Tenu à Libreville en juillet 2011, le Forum national sur le foncier aura été une grand-messe de plus. Plus d’une décennie plus tard, les événements parlent d’eux-mêmes : n’en déplaise à Blaise Louembé, alors ministre de l’Habitat, de l’Urbanisme, de l’Écologie et du Développement durable, cette rencontre n’a pas éloigné «le spectre des conflits fonciers et de la spéculation foncière.» Elle n’a pas non plus permis de «généraliser l’accès à la propriété.» Pour tout dire, elle n’a pas aidé à «renouveler notre regard sur le cadre juridique». Encore moins à accoucher de cette «nouvelle gouvernance foncière» tant promise.
Certes, la grand-messe de 2011 avait notamment recommandé «la révision de la loi n° 15/63 du 08 mai 1963 qui fixe le régime juridique de la propriété foncière.» Certes, elle avait suggéré, entre autres, «la création d’une administration foncière et des hypothèques», un «meilleur encadrement des délais de la procédure d’attribution foncière», la reconnaissance du droit de préemption et l’utilisation des outils de planification spatiale. Certes, tout ceci a débouché sur quelques réformes juridiques et institutionnelles. D’une part, l’adoption de la loi n° 03/2021 du 03 août 2012 portant ratification de l’ordonnance n° 05/2012 du 13 février 2012. D’autre part, la mise en place de l’Agence nationale d’urbanisme, des travaux topographiques et du cadastre (ANUTTC), chargée de l’exécution des plans d’occupations des sols ou d’aménagement, de l’archivage des dossiers des parcelles cadastrées et de la délivrance des actes de cession ou de mise en concession des terrains de l’État. Mais, face à la récurrence des conflits fonciers, on ne peut s’en satisfaire.
Déficit de confiance dans la justice
La gouvernance foncière a toujours été centre de nombreux débats. Depuis toujours, l’obtention d’un titre de propriété revêt les allures d’un parcours du combattant, ouvrant la voie aux dérives en tous genres. En octobre 2011, le gouvernement avait justifié la mise en place de l’ANUTTC par deux préoccupations : doter notre pays d’«une organisation administrative moderne, souple et efficace au bénéfice des populations» et promouvoir «des procédures d’accès à la propriété simplifiées.» Implicitement, il apportait de l’eau au moulin des populations, harassées par la lourdeur des procédures. Au-delà des précautions rhétoriques, il actait l’inefficacité des tribunaux et instances en charge des questions foncières. Onze ans plus loin, le vaudeville de London conduit au même constat. Comment un litige foncier peut-il s’étaler sur plus quatre décennies ? Pourquoi la justice a-t-elle rendu une ordonnance d’exécution dans une affaire ayant fait l’objet d’un appel ?
En attendant les réponses à ces questions, une partie de l’opinion balance entre sentiment de frustration et désir de vengeance, sa colère étant amplifiée par un déficit de confiance dans la justice. En se laissant aller à des déductions à la limite de la xénophobie, de nombreux citoyens s’attaquent en réalité aux institutions, accusées de corruption et d’incompétence. Quand bien même le ministère de la Justice a annoncé l’ouverture d’une enquête, la rupture semble consommée. Peu importe le fin mot de l’histoire, le soupçon et le mépris semblent profondément installés. Or, rien de grand ne peut se bâtir sur ces fondements-là. A un peu moins de deux ans de la prochaine présidentielle, les tenants du pouvoir gagneraient à le méditer.