Refuser de parler de la santé d’Ali Bongo ce n’est pas protéger le président de la République. C’est s’opposer au jeu institutionnel pour mieux personnaliser les échanges.
Dans le débat sur l’état de santé du président de la République, un biais attentionnel s’est installé : la confusion entre l’institution et la personne. Pourtant, les échanges auraient pu rester au niveau institutionnel. Contrairement aux insinuations du Parti démocratique gabonais (PDG), ni les citoyens ni les partis politiques n’ont la capacité «d’écarter Ali Bongo du pouvoir pour cause d’incapacité à assurer la fonction présidentielle.» Même s’ils en nourrissent l’ambition, ils ne peuvent en décider, cette compétence étant dévolue à des institutions identifiées par la Constitution. Au lieu d’être perçue comme une attaque ad hominem, l’évocation de cette question doit plutôt être comprise comme un moment de la vie institutionnelle. Loin de s’en prendre à la personne d’Ali Bongo, les défenseurs de la vacance du pouvoir en appellent à l’autorité du gouvernement, du Parlement et de la Cour constitutionnelle, les invitant à assumer leurs responsabilités.
Surenchère verbale
Curieusement, ces appels à la constatation de la vacance du pouvoir déclenchent toujours de violentes réactions dans la majorité. Comme par réflexe pavlovien, ses communicants se livrent à une surenchère verbale, quitte à sombrer dans des attaques personnelles. Au passage, ils en arrivent à dénier aux autres le droit de s’interroger ou de s’intéresser au fonctionnement des institutions. Pourtant, cette requête n’a rien d’illégal. Encore moins d’une injonction. Après tout, la «vacance de la présidence de la République» demeure une notion constitutionnelle. Même si elle peut détournée à des fins politiciennes, elle doit être «constatée par la Cour constitutionnelle saisie par les bureaux des deux chambres du Parlement statuant ensemble à la majorité des deux tiers de leurs membres, soit à leur propre initiative, soit à l’initiative du gouvernement statuant à la majorité des deux tiers de ses membres.» Refuser d’en parler ce n’est pas protéger le président de la République. C’est s’opposer au jeu institutionnel pour mieux protéger le citoyen Ali Bongo.
De toute évidence, le pouvoir goûte peu à l’idée d’une vacance de la présidence de la République. Cette «affaire vient d’être close définitivement devant les instances judiciaires», a récemment lancé le secrétaire général adjoint 2 du PDG, Michel-Philippe Nzé. Comme si, en rejetant la requête du collectif Appel à agir, la Cour de cassation avait tranché la question de fond.«Ce n’est pas un parti politique qui peut demander la vacance du pouvoir», a renchéri le porte-parole du gouvernement, Alain-Claude Bilie-By-Nzé. Comme si la dernière sortie de l’Union nationale (UN) avait valeur de saisine des instances judiciaires. A l’analyse, ces deux réactions expriment une prénotion solidement ancrée : ni les citoyens ni les forces sociales ne sont fondées à connaitre la vérité sur l’état de santé du président de la République.
Noyer le débat
Fondée sur un attachement au secret médical, cette conviction se heurte néanmoins au statut du concerné. Président de la République, Ali Bongo est le «détenteur suprême du pouvoir exécutif.» De ce point de vue, il conduit la politique nationale. «Chef suprême des armées», il joue un rôle prédominant dans toutes les questions de défense. En matière de diplomatie, il négocie et ratifie les traités, accrédite les ambassadeurs à l’étranger. Comme l’expliquait Charles de Gaulle, le président de la République est le “garant du destin (du Gabon) et de celui de la République, chargé par conséquent de graves devoirs et disposant de droits étendus.” C’est dire si cette fonction est à la fois prestigieuse et contraignante. C’est aussi dire si son titulaire doit être en possession de toutes ses facultés, notamment cognitives. C’est enfin dire si ses compatriotes ont le droit de s’intéresser à sa santé, le devenir de chacun d’eux étant quelque part engagé.
Vu sous cet angle, l’évocation de la santé d’Ali Bongo ne relève ni d’une volonté «d’attenter à l’honorabilité et à la dignité du président de la République» ni d’une absence de «projet alternatif lisible.» Elle traduit simplement les doutes et craintes d’une partie de l’opinion, échaudée par la tristement célèbre parenthèse Laccruche-Alihanga. De notoriété publique, l’ancien directeur de cabinet détint le pouvoir tout au long de l’année 2019. En dépit des dénonciations de l’opposition, il prît le contrôle de l’appareil d’État. Entre silence complice et couardise, toutes les institutions assistèrent à ce vaudeville sans mot dire. Faut-il faire comme si cette séquence historique n’avait jamais eu lieu ? Faut-il ne pas en tirer des enseignements ? Pourquoi noyer le débat politique, juridique et institutionnel dans l’accusation gratuite et l’anathème ? Nulle part au monde, la fuite en avant n’a servi l’intérêt général.