Remontée aux origines des maux qui minent la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) avec Cédric Hombouhiry, ancien directeur du recouvrement et du précontentieux de la structure concernée. Cet ingénieur Polytechnique, par ailleurs nominé aux Choiseul 100 Africa, a également été amené, à travers cette interview, à esquisser quelques propositions de solutions.
Gabonreview : Vous êtes à ce jour, le plus jeune manager à avoir occupé le poste de Directeur du Recouvrement et du Contentieux à la CNSS. Selon vous, qu’est-ce que la sécurité sociale et quel rôle doit jouer la CNSS ?
Cédric Hombouhiry : La sécurité sociale est un ensemble de mécanismes ayant pour but de protéger les Gabonais des conséquences de certains évènements ou étapes de la vie appelés « risques sociaux ». Nous pouvons citer : la maladie, la maternité, l’invalidité, le décès, les accidents du travail et les maladies professionnelles, la famille puis la vieillesse. En dehors de la couverture maladie, la CNSS assure tout le reste. Elle est garante de la fourniture de la bonne prestation, au bon moment et à la bonne personne.
Nous constatons depuis un certain temps que la ‘Caisse’ a du mal à honorer ses engagements. À quoi cela est-il dû, selon vous ?
Effectivement, cela est juste. Mais nous allons relativiser en disant que depuis un certain temps, la situation s’est nettement améliorée. Des efforts sont continuellement soutenus dans ce sens même si le plus gros est à venir. Quant aux causes, j’en identifie 5 majeures avec leur taux d’incidence respectif : déséquilibre structurel de la branche des pensions : 90% ; turn-over du top management : 5% ; masse salariale : 3% ; gouvernance : 1% ; et conjoncture économique :1%. Un point de vue largement répandu pointe du doigt la « gouvernance ». Vous voyez bien qu’avec ces taux la gouvernance ne vient qu’en 4e position. Bien entendu, des efforts considérables sont encore attendus.
Ne pouvait-on pas se prémunir de ce déséquilibre structurel de la branche des pensions qui plombe à 90% le bon fonctionnement de la Caisse ?
Un adage au village dit que « c’est généralement celui qui ouvre la route qui rencontre le serpent ». La CNSS dans sa forme actuelle est née en 1975 quand, en Europe, des modèles sont déjà appliqués depuis le 19e siècle. On aurait pu effectivement entrevoir un horizon nuageux 50 ans plus tard, mais ce n’était pas aussi simple et pour cause… premièrement il faut remonter dans le contexte de l’époque des années pétrole et l’idée clairement affichée était : « donner aux gabonais une excellente retraite » ; deuxièmement, trois erreurs paramétriques ont été faites :
a) On n’avait pas pris en compte l’espérance de vie. Le paramétrage raisonnable d’un régime de retraite par répartition doit donc conduire à respecter cette équation fondamentale qui relie le taux de cotisation (TC), le taux d’annuité (Ta) et l’espérance de vie à la retraite (Dr). Pour que le régime demeure équilibré quand l’espérance de vie augmente, on voit immédiatement qu’il faut soit augmenter la cotisation soit diminuer le taux d’annuité…
À l’origine, au moment des indépendances, les paramètres des régimes ont été déterminés en fonction des réalités de l’époque : l’objectif était d’offrir aux retraités une pension égale à 60% du dernier salaire d’activité pour une carrière complète de 40 ans ; cela revient à fixer un taux d’annuité de 1,5% (Ta = 1,5%), car 40 x 1,5% = 60%. On en déduit donc que le taux de cotisation doit être égal à 1,5% de l’espérance de vie en retraite (Ta x Dr), soit 15% (1,5%* 10). Le lien entre taux de cotisation, taux d’annuité et espérance de vie est ainsi clairement établi.
Bien sûr, en pratique, la dynamique des salaires et la dynamique démographique compliquent cette équation simplifiée, mais sans altérer les principes ci-dessus.
Ainsi, dans les années 60-70, nous nous sommes projetés sur une hypothèse où un salarié, après 40 ans de cotisations, percevait une pension avec une espérance de vie d’une dizaine d’années en moyenne.
Or à cette époque on avait manqué de prévoir l’avenir, c’est-à-dire de mettre en place des mécanismes d’ajustement automatique des paramètres, pour leur permettre de s’adapter en permanence aux évolutions de leur environnement, et notamment à l’allongement de la durée de la vie. Pouvait-on raisonnablement penser, en 1960, que l’on pourrait rester 50 ans avec les mêmes taux de cotisation ou d’annuité ?
Lentement mais surement, tout au long des décennies, les populations ont bénéficié d’un constant recul de l’âge moyen de décès : dans beaucoup de pays, l’espérance de vie à 60 ans a connu un bond compris entre 4 et 8 ans.
Mais à leurs corps défendants, il était impensable d’envisager qu’une Caisse qui enregistre des excédents financiers, donc en bonne santé -d’apparence- puisse procéder à une révision à la baisse des formules de pension.
b) D’autre part, on n’avait pas encore saisi que la croissance de départ était éphémère. En effet, un régime par répartition qui se met en place commence par engranger des cotisations, et ce n’est qu’après quelques décennies, lorsque les premiers cotisants partent en retraite, qu’il commence à servir des prestations. Les premières années d’un tel régime sont donc, par nature, fastes et glorieuses : l’argent rentre à flot et les réserves gonflent. C’est « l’âge d’or de la répartition ». Telle fut la situation des régimes de retraite du continent à leur tout début, au cours des décennies 60 et 70. Au Gabon, les premiers retraités, entièrement impactés par la 6/75, sont partis en 1995.
Cette euphorie naturelle des premiers jours de tout régime par répartition fut d’autant plus flamboyante que ces décennies – les Trente Glorieuses – furent aussi celles d’une formidable croissance économique mondiale dont le continent bénéficia pleinement : en Côte d’Ivoire, par exemple, la croissance moyenne sur la période 1960-1980 fut de 7% par an… Dans ce contexte, deux visions de gestion pourraient être distinguées : soit on épargne maintenant pour les dépenses à venir soit on dépense maintenant et à l’avenir on épargnera. Je précise que « épargner » ne veut pas dire « terrer de l’argent », bien au contraire. C’est donc à partir des années 2000 que ces déséquilibres se sont révélés au Gabon comme pour certaines autres caisses africaines.
c) La foi que nous avions mise en l’espérance de l’augmentation du nombre de cotisants pour le futur n’était pas suffisante. En effet, les pères fondateurs ont considéré que l’expansion du salariat serait un moteur puissant de l’équilibre financier des régimes par répartition, en amenant en permanence un flot de nouveaux cotisants, dont le passif associé ne se manifestera que 40 ans plus tard.
Cette prévision s’est révélée juste pour les pays industrialisés, qui ont poursuivi, depuis cette période, le mouvement de généralisation du salariat entamé avec la révolution industrielle : en France, la part des salariés dans le total des actifs est passée de 63% en 1956 à 85% dans les années 1990, et à 91% dans les années 2000.
Malheureusement, ce mouvement n’a eu aucun équivalent en Afrique, et c’est même l’inverse qui s’est produit : il ressort que la période de crise qui a secoué l’Afrique à partir de la fin des années 70 a accéléré la domination du secteur informel et le recul des emplois salariés.
Pour cette raison, aujourd’hui, plus de 50 ans après la vague d’indépendances, nos régimes de retraite africains demeurent confinés à une infime minorité : entre 5% et 20% de la population totale selon les pays. En Centrafrique par exemple, malgré les efforts permanents de la CNSS, les dispositifs de protection sociale ne couvrent que les salariés du secteur privé formel et les fonctionnaires, soit environ 60.000 personnes, c’est à dire moins de 2% de la population du pays. Les 98% de la population, n’ayant pas d’emploi salarié, ne disposent d’aucune protection sociale.
Au Gabon, nous comptons un peu plus de 100.000 fonctionnaires et 120.000 salariés du secteur privé. Soit un peu plus 10% de la population disposant d’une couverture sociale.
Vous comprenez-là qu’avec notre recul, il est plus facile de constater le loupé mais très difficile à anticiper, quand bien même il avait dû être certainement annoncé par les « prophètes » de cette époque. A nous de corriger le tir maintenant.
Justement, en parlant de corriger le tir, que pensez-vous qu’il faut faire ?
Eh bien, rien de plus que ce déjà avancé par les différents Directeurs Généraux qui se sont succédé depuis les années 2000 à nos jours. Avant de les énumérer, je tiens quand même à souligner un fait : ce n’est pas parce qu’on arrive à payer la majorité des pensions que tout va bien. Tout Manager qui se relais à la CNSS est obligé de remuer, à chaque échéance, ciel et terre pour sustenter le régime des pensions. Une équation m’interpelle : chaque année c’est plus de 4000 nouveaux retraités pour combien de nouveaux emplois cotisant au plafond ? La température monte considérablement et l’échelle est logarithmique. En d’autres termes, ce qui vous coutait hier 100 va vous couter demain 300. Maintenant pour être concret en termes de solutions, je vais me faire l’écho des anciens et des différents cabinets qui ont travaillé avec nous sur le sujet dont Finactu -une des sources de mes propos. Les propositions de solutions :
Pour le déséquilibre structurel de la branche des pensions : promulguer et appliquer les réformes paramétriques issues des dernières études actuarielles (2021).
Pour l’apurement de l’ensemble des arriérés des pensions et autres prestations à court-terme : bénéficier d’un prêt conséquent dit prêt de restructuration pouvant couvrir au moins 80% des charges techniques sur une année.
Pour le grand turn-Over du top management : améliorer par décret les articles fixant organisation de la Caisse Nationale de Sécurisé Sociale. Par exemple : Les nominations en interne seront faites par le Directeur Général après validation du Conseil d’Administration ; Le Directeur Général est nommé par le Conseil d’Administration ; La présidence du Conseil d’Administration est assurée triennalement, à tour de rôle, par les 3 groupes constitutifs à savoir : les syndicalistes ; les employeurs et les salariés. Pourquoi d’ailleurs ne pas rajouter à ce trio les retraités ?
Pour la masse salariale pléthorique : avec le prêt de restructuration obtenu en §2, organiser un plan social en accompagnant économiquement ceux qui s’en iront. Objectif : ramener l’effectif à sa moitié.
Pour l’amélioration de la gouvernance : informatiser l’ensemble des processus et appliquer le SMQ (Système de Management par la Qualité).
Pour l’amélioration de la trésorerie : reconstituer les réserves de la Caisse par ricochet aux bénéfices des actions §1, §2, §4 et §5.
Bien entendu, tout ceci n’engage que ma conception et n’est que le retour de mon expérience personnelle. D’autres solutions certainement plus efficaces ont été proposées ou sont en train d’être déployées.
Vous parlez d’expérience, justement, comment vous, l’ingénieur polytechnique -éloigné de la sécurité sociale- avez réussi à manager la direction «fer de lance» de la CNSS ?
Je rends tout simplement grâce à Dieu. Je n’ai aucun mérite et d’ailleurs à ce propos, je dois dire que j’ai été très bien encadré et entouré. J’ai eu la chance d’avoir des collaborateurs pétris du métier et un environnement propice à l’innovation.
Par quoi voudriez-vous conclure cette interview ?
Profitant de l’opportunité, je préconiserai que le Gouvernement mette en place une LFSS (Loi de Financement de la Sécurité Sociale). Elle servirait d’une part à améliorer le système de gestion des pensions et d’autre part, à anticiper les risques à venir, résultante de la faiblesse du modèle redistributif par répartition et à prestation définie actuel. En effet, aujourd’hui les cotisations d’un actif financent la retraite d’un inactif. Mais qu’en sera-t-il lors de l’avènement des fortes automatisations industrielles des postes où les automates ne cotiseront pas et les populations vieillissantes nécessiteront des pensions « de soutien », bien que n’ayant pas suffisamment ou jamais cotisé ?