Ayant multiplié les oukases, la Haute autorité de la communication (Hac) s’est muée en police de la pensée. Pourtant, le Gabon ne dispose pas de code déontologique spécifique à la presse.
Traduction en actes du Dialogue d’Angondjé, la Haute autorité de la communication (Hac) a fait couler encre et salive. Avec intérêt, les juristes ont analysé son organisation et son fonctionnement, émettant des réserves quant à la possibilité offerte à son président de prendre des «mesures conservatoires» sans en référer à ses pairs. Avec gravité, la société civile a décortiqué ses décisions, dénonçant des atteintes répétées à la liberté de presse. Bien entendu, les partis politiques d’opposition n’ont pas été en reste. Alertés par une confiscation rampante de l’expression démocratique, ils ont critiqué «la négation du droit à la liberté d’expression.» C’est dire si la Hac n’a jamais eu bonne presse. C’est surtout dire si elle a suscité la colère puis la réprobation d’une frange non négligeable de l’opinion.
Ne pas confondre morale et déontologie
A l’exception de la Cour constitutionnelle, aucune institution n’a autant alimenté la controverse. Aucune n’a paru aussi imperméable à la critique. Aucune n’a autant laissé le sentiment d’être rétive à la libre pensée. La Hac, elle, l’a fait en s’abritant derrière un argument : les dispositions de l’article 55 de l’ordonnance n° 00010/PR/2018 du 23 février 2018. Exploitant les failles de la législation, son président a tôt fait de réduire l’institution à sa personne. Multipliant les oukases, il en a modifié le mandat, s’attaquant aux partis politiques, comme on l’a vu en novembre 2018 à la faveur d’une passe d’armes avec Zacharie Myboto. Comme dans 1984, la célèbre dystopie de George Orwell, l’ancien président de la Hac s’est assigné la double mission de traquer les opinions dissidentes et de réduire au silence leurs auteurs, transformant la Hac en police de la pensée.
Durant les trois dernières années, on a disserté sur le lien entre régulation des médias et liberté de presse. On a épilogué sur deux notions à la fois distinctes et complémentaires : la morale et la déontologie. Ainsi a-t-on invité la Hac à ne pas les confondre, la morale étant opposable à toute la société quand la déontologie s’applique à une corporation précise. Mieux formalisée, la seconde vise à réguler les relations entre le public et les professionnels. Le Gabon dispose-t-il d’un tel instrument en matière de journalisme ? Sauf à exhumer la charte conçue par le défunt Conseil national de la communication (CNC) mais très vite tombée en désuétude, on ne saurait répondre par l’affirmative. Du coup, on doit se référer à un outil d’importation : la Charte de Munich.
Ni pessimisme ni procès d’intention
Pour une évaluation objective du travail des journalistes nationaux, il faut s’appuyer sur les 10 devoirs et cinq droits opposables à leurs confrères européens. Parmi ceux-ci, on citera, d’une part, la revendication du libre commentaire ou de la critique, le rejet des méthodes déloyales dans la quête de l’information, le respect de la vie privée, le droit de réponse, la confidentialité des sources, le refus de toute propagande ou pression extérieure et, d’autre part, la liberté d’enquêter, le rejet de toute consigne contraire à la ligne éditoriale, la primauté des valeurs ou choix individuels et, l’esprit d’entreprise. Au lendemain du changement intervenu à la tête de la Hac, ce rappel n’est pas sans intérêt. Au-delà, il semble nécessaire de le redire : autant la violence et les menaces n’ont pas leur place dans la presse, autant le Gabon ne dispose pas d’un code déontologique adapté à sa réalité. Pis, en près de 30 ans d’existence, son autorité de régulation n’est pas parvenue à concevoir un régime spécifique de sanctions. Les mesures de rétorsion édictées par la Hac ? Elles sont décidées à la tête du client, en fonction d’objectifs pas toujours avouables. Est-ce une conception démocratique de la régulation ? On peut en douter.
Pour autant, on ne doit ni céder au pessimisme ni sombrer dans le procès d’intention. Professionnel émérite, le nouveau président de la Hac connaît, dans leurs moindres coins et recoins, les vicissitudes du métier de journaliste. Tour à tour dirigeant de presse, parlementaire, membre du cabinet présidentiel, ministre puis diplomate, il est trop madré pour emprunter les chemins sinueux de son prédécesseur. Ayant goûté aux effets pervers de la législation, il cerne parfaitement le lien d’interdépendance entre autorité de régulation et instance d’autorégulation. S’il compte rétablir la confiance, il doit s’attaquer à trois priorités : l’adoption d’une charte du journalisme, la formulation d’un régime de sanctions et la mise en place d’une commission indépendante de la carte de presse. A coup sûr, Germain Ngoyo Moussavou le sait.