L’analyse de 2608 documents extraits du site du ministère de l’Economie pointe des erreurs collectives dans le respect de la discipline budgétaire et financière.
L’idée d’un contrôle citoyen de l’action publique fait son chemin. Ayant mené le combat pour la levée des mesures jugées attentatoires aux libertés, ayant obtenu l’annulation de deux arrêtés y relatifs, le Copil citoyen revient à la charge. Dans une enquête rendue publique le 25 mars courant, la plateforme de la société civile s’intéresse à la gestion des fonds alloués à la lutte contre la covid-19. Affirmant avoir analysé 2608 documents extraits du site du ministère de l’Economie, elle se penche sur le fonds initial logé à la Caisse des dépôts et consignation (CDC), les mesures fiscales, les emprunts consentis par le Fonds monétaire international (FMI), l’Agence française de développement (AFD), la Banque africaine de développement (Bad) et de nombreux dons, notamment ceux de la communauté libanaise du Gabon et de certains opérateurs économiques.
Soupçons de collusion complicité
Durant les deux dernières années, le société civile n’a eu de cesse de dénoncer la gouvernance du Comité de pilotage du plan de veille et de lutte contre la pandémie à coronavirus au Gabon (Copil). Suspectant certaines personnalités de s’être engagées dans un contre-la-montre pour un enrichissement personnel, elle raillait le «coronabizness.» Grâce aux conclusions de son enquête, elle peut préciser sa pensée. Corroborant ses soupçons, elle pointe diverses «anomalies.» Pêle-mêle, elle évoque l’absence de conventions pour certains marchés, le recours abusif aux réquisitions comptables, la double facturation, les erreurs de calcul, l’inéligibilité de certaines dépenses… Des manquements pas forcément imputables à des fautes individuelles mais, généralement révélateurs d’erreurs collectives, symptomatiques de mal-gouvernance. Ainsi des personnalités non-habilitées se retrouvent-elles impliquées dans la chaîne de dépenses. Comme si la discipline budgétaire et financière n’était pas codifiée. Comme si les rôles des uns et des autres n’étaient pas connus.
Certes, ce travail porte sur à peu près 11% des dépenses totales. Certes, ces allégations n’ont encore été appuyées par aucune autre source, surtout pas par la Cour des comptes. Certes, la responsabilité administrative, civile et pénale est individuelle. Mais, on ne peut tout balayer d’un revers de la main. On ne peut faire comme si de rien n’était, comme si des documents officiels n’avaient pas été compulsés. Si l’on doit respecter la présomption d’innocence, nul ne gagne à couvrir autrui. Encore moins, à se soustraire de tout contrôle. Au je-m’en-foutisme ou au sentiment de toute-puissance, il faut opposer la responsabilité politique. Face aux soupçons de collusion voire de complicité, il faut jouer la carte de la transparence. C’est dire si ce travail d’enquête met le ministère public sous pression.
Affaire à connotation politique
Maître de l’action publique, le procureur de la République est particulièrement attendu. Des faits manifestement délictueux ayant été portés à la connaissance du public, il doit ordonner une enquête. Au terme de celle-ci et en vertu du principe de l’opportunité des poursuites, il pourra soit classer l’affaire sans suite soit saisir une juridiction de jugement. André Patrick Roponat l’entendra-il de cette oreille ? Ou fera-t-il comme s’il n’a rien vu et rien entendu ? Sans préjuger de la suite, la première hypothèse serait à son honneur et à celui du parquet. Quant à la seconde, elle renforcerait l’idée d’une justice à deux vitesses : intransigeante avec les faibles, complaisante avec les puissants. On pourra toujours questionner la légitimité ou la qualité à agir du Copil citoyen. On pourra gloser sur ses intentions. Cela ne contribuera jamais à faire la lumière sur la gestion des fonds alloués à la lutte contre la covid-19. Surtout pas à asseoir la crédibilité de notre justice ou à la réconcilier avec le peuple.
S’il veut contribuer à clarifier les choses, le procureur de la République dispose d’une seule solution : l’ouverture d’une information judiciaire. De mémoire de Gabonais, jamais une telle procédure n’a abouti. Dans le scandale de pédophilie en milieu sportif, comme dans l’affaire des inscriptions à l’Université Omar Bongo (UOB), la piraterie au large de nos côtes ou les découvertes de caches d’armes, les résultats n’ont jamais été communiqués. Si elle reste ouverte, la voie judiciaire offre peu de garanties. Du coup, le Copil citoyen s’en remet au peuple. «Les procès et affaires politiques ou à connotation politique ne se gagnent pas devant les prétoires mais devant l’opinion publique», a lancé son porte-parole, reprenant une maxime d’Abdoulaye Wade. Affaires politiques ou à connotation politique ? Tout est dit…