Ayant fait sensation sur les réseaux sociaux côté Gabon, l’article publié par Mediapart ce 21 février sous le titre «La charge d’un juge d’instruction français contre le président du Gabon», ne comporte rien de bien nouveau qui n’était connu dans les diverses remontées à la surface de l’affaire des «bien mal acquis», déclenchée en mars 2007. Il y a simplement que le Gabon a été débouté de sa tentative de se porter partie civile dans cette affaire, même si pour la première fois un chef d’Etat en exercice est nommément indexé.
On n’en apprend pas grand-chose de nouveau concernant les fameux «bien mal acquis». La nouveauté c’est la mise en cause d’un chef d’État étranger en exercice. Relayées dans Mediapart, le fameux site d’informations français, les toutes récentes conclusions de Dominique Blanc, juge d’instruction chargé de l’affaire des «biens mal acquis» déduisent qu’«Ali Bongo a non seulement acquis ces dernières années de nombreux biens immobiliers à Paris grâce à des malversations mais il ne peut ignorer l’origine présumée frauduleuse du faramineux patrimoine familial en France, estimé à au moins 85 millions d’euros» (plus de 55 milliards de francs CFA).
Le Gabon partie civile dans l’affaire des «biens mal acquis»
Ce chiffre a été relevé d’une ordonnance ayant déclaré «l’irrecevabilité de la constitution de partie civile de l’État du Gabon, qui essaie depuis des années d’exciper du statut de victime dans ce dossier.» Plus simplement, la partie gabonaise revendique un statut de victime dans l’affaire dite des «biens mal acquis». Pour Fabrice Arfi, auteur de l’article et co-responsable des enquêtes à Mediapart, c’est le comble de l’ironie : «l’enquête des biens mal acquis vise précisément à démontrer comment une dynastie régnant sans partage depuis plus d’un demi-siècle, celle des Bongo, a utilisé son pouvoir et les attributs qui vont avec pour s’enrichir avec l’argent de la corruption et des détournements au Gabon, avant d’en blanchir une partie, notamment dans des investissements immobiliers de luxe, en France.»
Selon l’ordonnance établi par le juge d’instruction le 7 février dernier, «l’argent dont a bénéficié M. Omar Bongo pendant de longues années provenait en grande partie des commissions indues que lui versait la société Elf (…) Ses enfants, dont certains occupaient à ses côtés des fonctions officielles, ont eux aussi bénéficié d’importants financements de leur père pour acquérir des biens immobiliers.» Mediapart rappelle qu’avant de prendre le pouvoir au Gabon à la suite de son père, l’actuel président du Gabon a été ministre des Affaires étrangères (1989-1991) et de la Défense (1999-2009).
Flashback sur les avoirs d’Ali Bongo en France
Indexant Ali Bongo, le journal français d’investigation note un train de vie de nabab sans commune mesure avec les émoluments officiels qui sont les siens et ceux de sa famille. On compte «par exemple l’achat de voitures de luxe, acquises par le futur président gabonais parfois dans des conditions douteuses. Ici une Ferrari à 200 000 euros, là une Bentley à 180 000 euros, ou encore une Mercedes à 70 000 euros, somme payée intégralement en cash avec, au moment de l’achat en 2006, la présentation de son passeport, sur lequel on pouvait lire : «Ministre d’État, ministre de la défense nationale».»
Il est également question de mouvements de fonds suspects. Notamment, «800 000 euros envoyés en 2009 par virement du Gabon à Paris par la BGFI» (524 millions CFA environ) ; de services de limousine à Paris payés par la société de l’homme d’affaires corse Michel Tomi au profit d’Ali Bongo ou encore des achats de son épouse, largement relayés par la presse par le passé, chez Hermès ou chez Van Cleef & Arpels, la célèbre entreprise française de haute joaillerie.
Un refrain datant de 2007
L’article de Mediapart revient sur les biens immobiliers des Bongo avant l’arrivée au pouvoir d’Ali Bongo mai aussi sur ses acquisitions «dans les plus beaux quartiers parisiens (avenues Foch et Victor-Hugo, dans le XVIe arrondissement), ou de ceux achetés par le biais de sociétés civiles immobilières détenues par son ancien directeur de cabinet, Maixent Accrombessi, mais dans lesquelles Ali Bongo a des intérêts à titre personnel». Il reparle également du Pozzo Di Borgo, l’hôtel particulier acquis en 2010 par le Gabon, dans le 7e arrondissement de Paris, pour 65 milliards de francs CFA. En tout cas rien de bien nouveau qui n’était connu dans les diverses remontées à la surface de l’affaire des «bien mal acquis» déclenchée en mars 2007, par les associations Sherpa et Survie et la Fédération des Congolais de la diaspora, auprès du procureur de la République de Paris pour des faits de recel de détournements de fonds publics mettant en cause plusieurs chefs d’États africains et des membres de leur familles.
Se présentant comme une victime ayant subi bien de dommages dans cette affaire, l’Etat gabonais a voulu se constituer partie civile. L’entité nationale invoque d’ailleurs la loi du 4 août 2021. Celle-ci dispose la restitution aux populations concernées des avoirs saisis dans les affaires dites de «biens mal acquis» par des dirigeants et chefs d’Etats étrangers, ou leurs proches. Mais pour Me William Bourdon, l’avocat de l’ONG Transparency International France, qui a participé au déclenchement des poursuites, c’est «une sinistre blague : restituer au Gabon les avoirs confisqués, ce serait comme si on restituait au braqueur le produit de son hold-up !»